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Сентябрь 1828 г. Москва.
Monsieur,
Permettez que les premiers accords d'une muse naissante, soient consacrés à vous exprimer l'admiration que m'ont inspirée vos ouvrages. Dans le printemps de votre vie, vos écrits vous ont assuré une gloire éternelle; déjà votre nom se répète avec enthousiasme dans le monde littéraire et la Russie s'enorgueillit de vous avoir donné le jour; mais l'admiration ne tient pas lieu de talent, et mes vers, sans doute, Monsieur, sont incapables de vous louer dignement; cependant, accueillis par vous, votre seule approbation peut les sauver de l'oubli.
J'ai l'honneur d'être <...>
Épitre
à M. Alexandre Pouschkine.
Qui retient donc tes chants, qui suspend tes accords,
Ton luth harmonieux, tes sublimes transports?
En vain tes doigts hardis abandonnent la lyre;
Les Muses sur ton cœur n'ont-elles plus d'empire?
De ce repos fatal repousse la langueur,
Reprends ton luth divin, et dans ta noble ardeur,
Que le frémissement de ses cordes flexibles,
Anime encor l'écho de ces rives paisibles.
Jadis en son essor, ton esprit créateur,
Osant franchir l'espace où se perd un auteur,
Enfantait chaque jour de divines pensées,
Et plaçait avec art des phrases cadencées;
L'harmonie, en tes vers écrits éloquemment,
A l'oreille vibrait mélodieusement:
Ainsi la douce voix d'une amante chérie,
Ramène l'espérance en notre âme flétrie.
Le vulgaire, il est vrai, rend justice aux savants,
Lorsqu'ils sont effacés du nombre des vivants;
C'est sur leur tombe, alors, qu'on pose la couronne;
Leur trône est un cercueil que l'honneur environne:
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Tel le chantre d'Achille a vécu méprisé;
Ainsi l'on vit Ovide à Tomes déposé,
Camoëns dans l'exil eut le destin d'Homère,
Il revit sa patrie, y mourut de misère;
Persécuté longtemps, le Tasse infortuné,
S'avance au Capitole et n'est point couronné;
Milton dans le malheur a fini sa carrière,
Méconnu des savants, méprisé du vulgaire.
Qu'est le mérite hélas! qu'est-il donc ici bas,
Si l'envie et le sort s'attachent à ses pas!
Pour éblouir le monde il faut de la richesse,
Des titres éclatants, beaucoup de hardiesse,
Un brillant équipage et d'effrontés laquais,
Insultant les passants aux portes du palais;
Cela tient lieu d'esprit à la cour, à la ville,
Et des écrits d'un fat, fait admirer le style,
Fait un homme d'honneur, d'un fourbe, d'un larron,
D'un être sans aveu, le plus loyal baron.
Le poète au grenier trouve un réduit tranquille,
Oui, c'est là, qu'oublié dans ce modeste asile,
Son esprit créateur, planant sur l'univers,
Inspiré par la gloire enfante d'heureux vers;
C'est là que son crayon par un trait satirique,
Couvre tous nos abus d'une juste critique;
Là, sa lyre savante en ses divins accords,
Peut immortaliser les vivants et les morts.
Que de héros fameux, célébrés dans l'histoire,
Sans l'heureux art des vers, auraient péri sans gloire!
Que de Rois oubliés, dignes de notre encens!
Et ces tombeaux brisés, renversés par le temps,
La lyre anime encor leur dépouille poudreuse,
Et cherche un nom caché sous la pierre orgueilleuse;
Ulysse, Achille, Hector, sortez de vos tombeaux,
L'Iliade éternise Homère et vos travaux.
Sous un Bourbon la France à jamais immortelle,
Au sévère Boileau dut sa gloire nouvelle;
La prise de Namur, le passage du Rhin;
Aux siècles sont transmis par son docte burin.
L'émule de Sophocle en surpassant Corneille,
A la scène légua sa Phèdre sans pareille.
Le chantre de Henri composa l'Orphelin,
Zaïre et Mahomet naquirent sous sa main;
Mais Corneille et Racine en partageant sa gloire,
N'ont point de monument au temple de mémoire.*
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Les poètes pourtant, sont la gloire des Rois,
Lorsqu'ils sont accueillis, protégés sous leurs lois.
Encor faut-il flatter pour être un homme utile;
On voit plus d'un Auguste, il est plus d'un Virgile!
Mille fois plus heureux, laissant ses vains succès,
Le simple laboureur cultive ses guérets;
Oui, là, point d'envieux, là, maître en sa demeure,
Il vit paisiblement jusqu'à sa dernière heure,
Sans chagrins, ni soucis, sans compter d'ennemis,
Il peut dire en mourant: j'avais quelques amis.
En butte à la critique envieuse et méchante,
Je brave la tempête, et ma main indolente,
Traçant dans mes loisirs quelques vers imparfaits,
Sans pouvoir t'imiter, lance en vain quelques traits:
Tel on voit un vautour en son essor rapide,
Chercher à suivre un aigle aux régions du vide,
Inutiles efforts; ainsi mon chalumeau,
Dans l'art d'écrire en vers est encore au berceau.
L'avenir est à toi, le présent au vulgaire,
Peu t'importe un critique injuste ou trop sévère,
Par ton hardi génie un chemin t'est tracé,
Foule aux pieds ce censeur par tes vers terrassé.
Pourtant, ton luth sonore au cri de la victoire,
A de plus nobles chants doit consacrer ta gloire;
Célèbre tes guerriers; ces vainqueurs du Persan;
Ont renversé les murs de l'antique Erivan;
Déjà de ses remparts les ruines fumantes,
Gémissent sous le poids des aigles triomphantes,
Et la triste Arménie en ses profonds déserts,
Aux Ismaëliens a vu donner des fers.
D'un sublime transport que ta lyre saisie
Chante le double affront des peuples de l'Asie,
A l'Europe étonnée annonce ces exploits,
Célèbre le héros qui fait chérir ses lois;
Mais ton cœur se consume et ta lyre est muette,
Tu brûles dans ces lieux d'une flamme secrette;
Pouschkine, ces liens sont des chaînes, des fers,
Romps ce joug oppresseur, crains ces charmes pervers;
Si l'amour embellit les lauriers de la gloire,
Seul, il ne peut guider au temple de mémoire,
Le guerrier, le poète immolent à l'honneur
Ces plaisirs passagers, ces éclairs de bonheur;
Laisse aux simples mortels ces plaisirs et ces peines,
Le génie est vainqueur des passions mondaines,
Fils chéri d'Apollon, vois l'immortalité,
L'amour! qu'est-il?... un songe est sa réalité.
Achille Lestrelin <См. перевод>