Soultz, le 15 Février 1836.
Monsieur le Baron,
Ce n’est pas sans un vif sentiment de gratitude que je me trouve dans le cas d’avoir à vous entretenir de la proposition que vous avez eu la bonté de me faire, à tant de reprises, d’adopter pour votre fils Georges Charles d’Anthès, mon fils, et de le faire héritier de votre nom et de votre fortune. —
Bien des preuves de l’amitié que vous n’avez cessé de me témoigner depuis tant d’années, m’avaient été données par vous, Monsieur le Baron, celle-ci vient y mettre le comble; car ce généreux projet qui offre à mon fils un sort que je n’aurais pu lui faire, me rend heureux dans ce que j’ai de plus cher au monde. —
N’attribuez donc qu’à la force des liens qui attachent un père à son fils le retard que j’ai mis à vous donner autentiquement une adhésion qui depuis longtemps était dans mon coeur. Et en effet en suivant comme je l’ai fait avec attention les progrès de l’attachement que cet enfant vous a inspiré, en voyant avec quelle sollicitude vous avez voulu dès lors veiller sur lui, fournir à ses besoins, enfin l’entourer de soins qui ne se sont pas démentis en instant jusqu’à ce jour, où votre protection vient de lui ouvrir une carrière, dans laquelle il ne peut manquer de se distinguer, je me suis dit que cette récompense vous était bien dû et que ma tendresse paternelle pour mon enfant devait céder à tant de dévouements et de générosité. —
Je m’empresse donc, Monsieur le Baron, de vous informer que dès aujourd’hui je renonce à tous mes droits de père sur Georges Charles d’Anthès, et que je vous autorise en même temps à l’adopter pour votre fils, ratifiant d’avance et entièrement toutes les démarches que vous serez dans le cas de faire pour que cette adoption devienne valide aux yeux de la loi. —
J’ai pris connaissance de la pétition dont vous m’avez envoyé copie, et que mon fils se propose d’adresser à Sa Majesté le Roi des Pays-Bas à
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l’effet d’être autorisé à prendre votre nom et vos armes; non seulement cette supplique a mon entière autorisation, mais s’il était nécessaire qu’elle fût appuyée du consentement que je vous donne aujourd’hui, je pense que cette lettre mise sous les yeux du Roi, votre Maître, suffira pleinement pour vous faire atteindre le but de ses désirs et des vôtres. —
Enfin pour compléter tous les renseignements dont vous pouvez avoir besoin, j’ai fait dresser par les autorités de la ville que j’habite un certificat attestant la noblesse de ma famille; j’y annexe le dessin de mes armes et je joins ces deux pièces à ma lettre. —
Il me reste à vous exprimer, Monsieur le Baron, le voeu bien sincère que je forme pour que mon fils justifie par son affection pour vous et par sa conduite dans le monde tout ce que vous faites pour lui; permettez d’y joindre de nouvelles assurances de la bien profonde reconnaissance que je ne cesserai d’avoir pour vous, et avec laquelle je suis
votre ancien ami
Baron Joseph Conrad d’Anthès.