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Письмо барона Геккерена Жуковскому.

9/21 Novembre 1836.

Monsieur,

Ayant été invité, par Mademoiselle de Zagriajsky, à passer chez elle, j’ai appris d’elle-même qu’elle était instruite de l’affaire au sujet de laquelle je vous écris aujourd’hui. Elle-même aussi m’a dit que les détails vous en étaient également connus, je ne

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puis donc croire commetre une indiscrétion en m’adressant à vous en ce moment. Vous savez, Monsieur, qu’une provocation de Monsieur de Pouchkine a été adressée à mon fils par mon entremise, que je l’ai acceptée en son nom, qu’il a ratifié cette acceptation et que tout cela a été déterminé entre Monsieur de Pouchkine et moi. Vous comprendrez facilement combien il importe à mon fils, et à moi, que ces faits soient admis d’une manière irrécusable; un homme d’honneur, lors même qu’il est injustement provoqué par un autre homme honorable, doit avant tout veiller à ce qu’il ne puisse être permis à personne au monde d’élever le moindre doute sur sa conduite en semblables circonstances. —

Ce devoir rempli, ma qualité de père m’impose une autre obligation que je crois ne pas être moins sacrée.

Ainsi que vous savez, Monsieur, tout jusqu’à ce jour s’est passé par l’entremise de tierces personnes. Mon fils a reçu une provocation, son premier devoir était de l’accepter, mais au moins doit-on lui dire, à lui-même, pour quel motif on l’a provoqué. Une entrevue me semble donc convenable, obligatoire, même entre les deux parties, en présence d’une personne qui comme vous, Monsieur, saurait intervenir entre elles par toute l’autorité d’une impartialité complète, et saurait apprécier le fondement réel de susceptibilités qui ont pu occasionner cette affaire. Au point où on est arrivé, après que chaque partie a su remplir ces devoirs d’homme d’honneur, j’aime à croire que votre médiation saura facilement désabuser Monsieur de Pouchkine et pourra rapprocher deux hommes qui viennent de prouver qu’ils se doivent une estime mutuelle. Vous aurez ainsi accompli, Monsieur, une tâche bien honorable, et si je me suis adressé à vous en cette circonstance, c’est parce que vous êtes un des hommes pour lesquels je professe plus particulièrement les sentiments d’estime et de haute considération avec lesquels je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Baron de Heeckeren.