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Ce 31 Janvier 1836 [Pétersbourg]. Minuit.

Merci et grand merci, mon bon ami! Je viens de recevoir Votre lettre et l’argent avec. C’est une bonne idée que Vous avez eu de me l’envoyer par le correspondant de Rozen: on ne saurait être plus exacte. Mais je Vous en veux fort d’avoir écrit à Alexandre2): cela n’a abouti qu’à lui mettre la bile en mouvement; je ne me souviens pas de l’avoir vu d’une humeur si détestable: il a crié jusqu’à s’égosiller, qu’il aimait mieux donner tout ce qu’il passède (y compris sa femme, peut être), que d’avoir affaire de nouveau à Boldino, à l’intendant, au Lombard etc. etc., que Vous n’avez qu’à Vous adresser à Пеньковскій3) , que c’est son affaire d’être au courant des affaires, qu’il est payé pour cela, qu’il doit n’ignorer de rien. Il n’a pas lu Votre lettre, il me l’a rendue après l’avoir décachetée sans y jeter les yeux. Sa colère au reste m’a parue assez comique, mais au point que j’avais bien envie de rire. Il avait tout l’air de contrefaire mon père4); cependant, j’ai pu tirer de lui: 1°, que Пеньковскій était une bête, qu’il lui avait écrit de payer au Lombard, de ne Vous envoyer que l’argent qui nous revient, clair et net; 2°, que le bien était

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engagé pour 40,000, qu’il fallait payer 6 pour cent d’intérêts, qui ne rapportent que 4,000 ou à peu de chose près, — plus ou moins nous ne pouvons en avoir que 1,600 ou 1,500, — et que 3°, ayant envoyé 900 au mois de Novembre et maintenant encore 900 — cela fait 200 roubles de plus qu’il ne nous faut. Il est vrai qu’au mois de Novembre je n’ai touché que 400, mais cependant l’argent qu’on a envoyé à Léon1) était pas moins le nôtre.

Il n’y a rien à faire maintenant; écrivez à ce beau monsieur Пеньковскій sans beaucoup de cérémonies, que c’est joliment bête à lui de Vous donner l’embarras de payer, étant à Varsovie, les intérêts au Lombard de Moscou avec un argent rogné par conséquant, et écrivez lui au nom de Dieu de ne plus écrire à Alexandre2), qu’il le prie en grâce, ou à mon Père, — qu’il n’ait affaire qu’à Vous, — comme mon frère3) lui a ordonné très éloquement; que s’il ne sait pas calculer, qu’il s’informe de toute autre manière, combien il doit payer d’intérêts du bien d’Alexandre4). Est-ce clair? «Просрочка же ничего не значитъ», — тѣмъ Александръ Сергѣевичъ заключилъ. «Проценты внесены были сполна до нашего владѣнія съ тобой».

Mon bon ami, je ne m’entends pas aux affaires; débrouillez Vous-même, si cela ne vous paraît pas assez clair; je ne pourrai rien savoir de plus d’Alexandre5). Comme il Vous plaira, je ne lui parlerai plus; si Vous lui érrivez à son adresse, il jettera vos lettres au feu sans les décacheter, — croyez moi. Ему же не до того теперь: онъ издаетъ на дняхъ журналъ6), который ему приносить будетъ не меньше, онъ надѣется, 60,000! Хорошо и завидно.

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A propos: Sobolevsky vient de gagner un procès de cent quatre mille roubles et d’en toucher la somme, l’heureux mortel! Sans cela il était si à son aise! Il parle de faire encore le tour de l’Europe et d’aller en Espagne, le seul pays qu’il ne connait pas. Son voyage en vers en Italie est extrêmement drôle.

Adieu, mon bon ami! Lolo se porte bien, Dieu merci, il a fait encore une dent, mais il est toujours maigre et pâle, — c’est l’effet abominable des sangsues, plus d’une personne me l’a dit; aussi tant que j’existerai, je ne lui ferai pas avaler un brin de rhubarbe, — non seulement avoir recours à un médecin; doit-il devenir plus malade qu’il ne l’a été en route.

A propos: nous attendons Balzac1); on prétend qu’il est déjà à Kieff.

Encore un à propos: Anitchkoff est parti pour Moscou; Annette Woulf2) est arrivée; jusqu’au printemps elle demeurera chez sa tante Надежда Гавриловна3), qui elle-même demeure chez son beau-fils Trouvler; elle attend son frère Alexis bientôt. Annette Kern4) возится съ цензурами, съ книгопродавцами; перевела Занда5) романъ «Andrée».

J’ai été au bal masqué de l’Assemblée en grande société. Je me suis beaucoup amusée. Nous étions tous en dominos, comme de raison, masquées jusqu’aux dents; j’ai intrigué tant et si fort et si bien, que j’étais entourée, qu’on m’appelait «la magicienne». Le fait est que personne ne songeait à moi, puisque je suis disparue du monde et que j’ai revu beaucoup de connaissances. J’ai intrigué entre autre Rebinder — le sapeur; j’ai parlé de M-me Rogalski.

Сноски

Сноски к стр. 210

2) А. С. Пушкинъ.

3) Управляющій въ Болдинѣ.

4) Сергѣй Львовичъ Пушкинъ.

Сноски к стр. 211

1) Левъ Сергѣевичъ Пушкинъ.

2) А. С. Пушкинъ.

3) Онъ же.

4) Онъ же.

5) Онъ же.

6) Журналъ «Современникъ».

Сноски к стр. 212

1) Знаменитый французскій романистъ пріѣзжалъ въ 1836 году въ Россію.

2) Анна Николаевна Вульфъ, сестра Алексѣя Вульфа — друга А. С. Пушкина.

3) Вульфъ.

4) Анна Петровна Кернъ, впослѣдствіи Маркова-Виноградская, двоюродная сестра Вульфовъ, рожденная Полторацкая.

5) Т. е., Жоржъ Занда.