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Le 16 Mars 1832. [Петербургъ].

Enfin Vous m’avez donné de Vos nouvelles, mon bon ami, et si ce n’était Mr Anitchkoff qui m’assura, il y a de cela 15 jours, que Vous Vous portez bien, j’aurais été plus qu’inquiète de Votre silence, car Votre avant-dernière lettre était datée du 22 Janvier n. s., et celle que je viens de recevoir me fut remise par Mr Kossagovsky, mais il paraît qu’elle n’était pas écrite pour être envoyée avec lui. Il m’a apporté entre autre des présents de Votre part: je Vous en remercie infiniment, car quoique Vous ne m’en soufflez pas le mot, je n’ai aucun doute que les bracelets et les 3 petits mouchoirs ne m’aient été déstinés, ainsi que le tablier. Cela m’a fait beaucoup de plaisir. Quant aux 4 grands mouchoirs, — comme il y en a deux de la même espèce, parfaitement pareils, et que cela doit être d’un haut prix, je suppose que c’est pour Votre mère et Vos soeurs, qui peut-être Vous en ont donné la commission; aussi j’attends l’explication de cette énigme pour en disposer et les envoyer. En attendant je ne me suis vantée à mes parens que de ce dont je ne me suis pas fais scrupule de m’approprier. Merci encore pour le papier; je l’ai remis le même jour à Mr Lermantoff. J’espère qu’à présent on ne fera plus de difficulté de lui remettre les 500 qui me viendraient on ne saurait plus à propos: depuis le mois de Décembre mon père ne m’a rien donné, et si ce n’étaient les intérêts que Lichardoff m’a payés, j’aurais été obligée d’emprunter. A présent je ne dois qu’au maître

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de la maison, qui est une bonne pâte d’homme, et j’économise autant que possible pour éviter de devoir ailleurs, et si Mr Petroff1) me remettait les mille roubles dont Vous me parlez, j’aurais été tranquille jusqu’à mon départ; mais pour les avoir je ne sais comment m’y prendre; il me faudra encore une lettre de Mr Pogodine pour lui. Je n’ai pas une idée de Mr Petroff: il n’a pas été chez moi. — Il faut Vous dire, mon cher ami, que j’ai fait part de Votre lettre à mes parents, et mon père2) l’a lue d’un bout à l’autre sans faire aucune observation; je l’ai cru nécessaire pour prévenir ce qu’il pourrait apprendre à l’arrivée de Mr Enguel de Votre mésintelligence avec lui, qui, comme de raison, ne manquerait pas de croître et d’embellir, passant surtout par la bouche d’une certaine personne que je ne veux pas nommer, afin de Vous donner tout le tort.

Je viens d’être interrompue par Mr Lermantoff qui m’a remis enfin les 500. J’en suis bien aise, et lui aussi à ce qu’il paraît, car il ne s’est pas donné peu de peine pour cela. A présent je Vous parlerai du projet de notre voyage et de notre rendez-vous à Kieff.

Le procès de Md Harlinska tire à sa fin; en tout cas elle compte partir au commencement de Mai; elle m’engage beaucoup à partir de compagnie avec elle et en attendant Votre arrivée à Kieff (s’entend, si je Vous préviens) de venir habiter sa terre, située à quelques verstes de là (à 60). Mais comme cela serait un petit inconvénient, j’aime mieux Vous attendre dans la ville même; peut-être pourrai-je être défrayée du logement, en m’arrêtant chez Adèle Galaféeff; je compte lui écrire là-dessus. Si Vous êtes décidé d’aller chez Votre mère cet été, — je pense que c’est le meilleur parti que j’aie à prendre, quand même la Harlinska

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resterait ici; au reste, c’est comme Vous le jugerez bon à propos afin de dépenser l’argent le moins possible. Mr Lichardoff pourrait même, je crois, me rembourser, au moins en partie; il me l’a dit, pourvu que je le prévienne d’avance; ce qu’il me donnerait suffirait pour mon voyage, quand même cela ne serait que 3 mille et moins; je l’espère au moins. Si Mr Petroff me donne les mille roubles ef si mon père me donne 500 jusque là duquel, par parenthese, je n’ai reçu que 2000 depuis Votre départ, — cela serait-il mieux que d’emprunter ailleurs sur la lettre de change, comment croyez-Vous? Je compte aussi beaucoup sur la complaisance de Mr Dourassoff: il m’aidera, je n’en doute point, de tout son possible à décamper d’ici; en attendant, je lui confierai mes billets du Lombard; et puis les effets qui sont chez moi et les meubles, — vendre ceux là serait inutile, je pense, car on ne donnerait pas le quart du prix, et cela serait une trouvaille, si jamais nous revenons, ce, dont, je suis persuadée, ne manquera pas d’arriver. La place qu’occupe Mr Pogodine ne saurait durer des années à Varsovie; sûrement il sera employé ici, — tout le monde me l’assure et je le crois très fort. À propos: Mr Enguel s’établit ici avec toute sa Chancellerie et ses appointements; on prétend même que la place qu’il occupe est un poste créé pour lui; il est en grande faveur. Mes parens désirent beaucoup que Léon1) puisse servir auprès de lui. Une fois ici, les employés sauront à quoi s’en tenir et sauront ce qu’ils recevront: les appointements ne peuvent être modiques. — Adieu, mon cher, je ne manquerai pas de Vous donner d’autres indices pour déterrer Sevruk; depuis quelques jours je n’ai pas vu Md Harlinska. Cette dame Vous plaira, quoiqu’elle ne soit pas extrèmement jolie; elle est fort agréable et chante avec beaucoup d’âme et puis parle le

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polonais, comme une polonaise, et en a toutes les manières, un peu afféctées, inter nos, au point que c’est frappant. Mais ce qu’elle a de mieux — c’est sa fille aînée, une enfant de 11 ans, délicieuse, un ange de beauté.

Adieu, cher ami, je Vous embrasse tendrement. Ne soyez pas si longtemps sans m’écrire: j’ai besoin de Vos lettres et Votre silence me donne toujours des inquiétudes, quoique cela soit pour la première fois que j’en conviens. Ah! quelle scène j’ai eu à essuyer chez mes parens, quand j’ai pris le parti de leur déclarer ma ferme résolution de Vous réjoindre! C’était encore au mois de Février. Sans s’opposer directement à mon départ, ma mère m’a dit tant de choses..... Marcoff n’est pas mort: il a été chez moi un de ces jours, bien pâle et maigre. Léon1) compte-t-il revenir ici pour les fêtes?

Помѣта Н. И. Павлищева: reçu 

25 Mars

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 6 Avril

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Сноски

Сноски к стр. 118

1) См. выше, стр. 110.

2) Сергѣй Львовичъ Пушкинъ.

Сноски к стр. 119

1) Л. С. Пушкинъ.

Сноски к стр. 120

1) Л. С. Пушкинъ.