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23 Octobre 1831. [Петербургъ].
Mon bon ami, depuis la lettre que Vous m’avez envoyée par Pouchkine je n’ai plus eu de Vos nouvelles. Je commence à être inquiètte, d’autant plus que Mr Yasikoff reçoit souvent des nouvelles de son fils et puis Mr Sevlatsky (Nikita)1), qui sert comme Vous auprès de Mr Enguel, est
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ici et ne m’a rien apporté de Votre part, pas un поклонъу; je ne sais rien au reste s’il vient de Varsovie ou de Vilna, mais le fait est qu’il a son semestre et qu’il est venu réjoindre sa femme, — une franche coquine, par paranthèse. Et Vous, Vous avez cessé même de m’écrire! Un de ces jours j’ai rêvé de Vous, — comme si Vous étiez venu pour m’amener avec Vous et que moi, pour Vous éprouver, je disais que j’étais décidée à ne point quitter Pétersbourg; que là-dessus Vous ne pûtes me dérober un sourire de satisfaction et ce sourire me fit tant de peine que je me reveillais en sursaut, le coussin inondé de larmes; j’espère que ce rêve n’est pas de mauvais augure et qu’il ne me fut suggéré que par la crainte de ne pas Vous voir de sitôt. En vérité, mon bon ami, je ne sais plus quand Vous attendre, Vous, qui Vous Vous proposiez de prévenir tous les maris de Votre Chancellerie; ne voilà-t’il pas que Sevlatsky1) est ici, et sûrement on ne saurait obtenir de congé qu’à tour de rôle; je Vous ai dernièrement écrit que l’Empereur resterait à Moscou jusqu’au mois de Décembre; il faudrait mettre à profit son absence; tâchez de le faire ou au moins ne m’induisez pas en erreur; dites tout bonnement, quand et comment et pour combien de temps viendrez-Vous, — si Vous arriverez dans l’intention de me prendre ou de repartir seul; il faut que je prenne mes mesures là-dessus, quoique je me suis arrangée par mois avec le maître de la maison; elle est toujours trop chère pour moi seule, vu que mon père2) ne me donne plus d’argent depuis le mois de Juin et que je ne puis pas toujours compter sur le Vôtre, pas même sur celui que Vous m’envoyâtes on été, car jusqu’à présent il n’en est pas question au Commissariat. Quant à mes Parens, ils ont loué un très joli logement au Pont
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Bleu1), mais il est trop petit pour que je puisse y demeurer avec. Alexandre2), qui à son arrivée m’a proposé de déménager chez lui, ne m’a plus renouvellé cette proposition et quand même il l’aurait fait, je ne l’aurais pas accepté: le genre de vie qu’ils vont mener ne me convient pas: ils recevront trop de monde qui ne m’amuserait guère, et mes amis à moi ne sont pas les leurs. En attendant, ils ne sont pas tout à fait installés encore; à leur arrivée ils ont pris une maison qui a fini par leur déplaire et ils ont trouvé une autre à la Galerna3) pour 2500. Ma belle soeur4) est grosse, mais cela n’y paraît pas encore; elle est bien belle et aimable.
Je fus interrompue par la visite de Mr Marcoff; il est resté une heure environ; il vient de me dire que Mr Enguel sera nommé à la place de Mr Zakrevsky et que, comme de raison, il viendra ici. Il5) l’a entendu d’un certain Mr qui est auprès de Kankrine6). Si c’est vrai, mon bon ami, Vous feriez bien mieux de servir auprès de lui ici. La vie n’est point chère, beaucoup moins que celle de Varsovie et si Vous obtenez 2000 et logement avec, — cela aurait pu nous arranger. Mr Marcoff dit qu’à présent dans tous les Ministères il y a des logements de la couronne et sûrement si Vous devenez nécessaire à Mr Enguel, les grades et les récompenses iront leur train; qu’en dites-Vous, mon cher? Ici on vit comme on veut et le luxe est indispensable à Varsovie en toilette; une toilette à moi seule me coûterait, je crois, ce que mon père7) m’a assigné et ce qu’il est loin de me donner: depuis Votre départ, — 7 mois et plus, — je n’ai
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reçu que mille roubles de lui, et me donnera-t’-il 3 mille dans cinq mois! — il n’y songe pas même. — Adieu, mon bon ami, j’attends avec impatience de Vos nouvelles en réponse à mes deux dernières lettres, surtout la première, bien détaillée que j’ai envoyée encore par Dourassoff, où je Vous fesais part de plus d’une nouvelle, entre autres de la mort de Nicolas Korff le marié, de celle de Софья Александровна1), du déménagement de Mademoiselle Roudolphe chez mes parens etc. et puis de mon genre de vie, qui commence à être très dissipé. Vous ai-je dit que les demoiselles Boborykine sont ici, et qu’un de ces jours on attend le Prince Wiasemsky2), — c’est ce qui me fait le plus de plaisir. — Grâce au rétablissement de ma santé, je suis à même de jouir de leur société, et ma gaieté me revient à vue d’oeil, tout le monde s’en aperçoit. Je viens de temps en temps chez les Volkoff. Quand à la belle Paskiewitch, — je la vois rarement; elle ne va souvent que dans les maisons, où elle est sûre de rencontrer son charmant objet. Прощай, всѣ знакомые тебѣ кланяются и не вѣрятъ, что ты за мной пріѣдешь. Mademoiselle Marie Vous salue. Плакса надоѣла.
Помѣта Н. И. Павлищева: 2/14 Ноября 1831.
Сноски к стр. 99
1) H. B. Всеволожскій, одинъ изъ друзей Александра Сергѣевича. Л. П.
Сноски к стр. 100
1) H. B. Всеволожскій.
2) Сергѣй Львовичъ Пушкинъ.
Сноски к стр. 101
1) У Синяго моста, въ Петербургѣ. Л. П.
2) А. С. Пушкинъ.
3) По Галерной улицѣ.
4) Наталья Николаевна Пушкина.
5) Марковъ.
6) Графъ Е. Ф. Канкринъ — тогдашній министръ финансовъ.
7) Сергѣй Львовичъ Пушкинъ.
Сноски к стр. 102
1) Окунева.
2) Князь Петръ Андреевичъ Вяземскій. Л. П.