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Le 6 Octobre 1831. [Петербургъ].

Je commencerai par Vous dire, mon bon ami, que l’argent depuis si longtemps attendu est enfin arrivé à sa destination — je veux parler des 600 roubles, que Vous envoyâtes de Pultusk à l’adresse de M-r Lermantoff. C’est le 1

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de ce mois que je l’ai reçu et on ne peut pas plus à propos, il faut en convenir: c’etait au moment, où j’étais décidée à faire une épigramme sanglante contre Vous, en vendant votre Van-der Veld à 50 copeks, car il faut que Vous sachiez, que jusqu’à présent pas un seul des exemplaires n’a bougé de chez les libraires. Mais pourquoi Vous Vous êtes avisé de m’écrire tantôt par Bouholtz1), tantôt par poste? Figurez-Vous que ce n’est qu’avant hier que Votre lettre du 12 m’est parvenue! Confiez les derechef aux soins de M-r Dourassoff; lorsque Vous le faisiez, j’avais toujours de Vos nouvelles au moins de 1—10 jours. Le Baron Bouholtz ignore non seulement mon logement, mais même mon séjour ici. Il s’amusait à envoyer Vos lettres à moi à Царское Село chez Alexandre2), et celui-ci ne me les faisait remettre que lorsque bon le lui semblait, et quelquefois ne me les faisait pas remettre du tout, et sauf tout le respect que je lui dois et que j’ai pour lui, je le soupçonne — que Dieu me pardonne — de s’en être t..... le d.....re, par distraction, s’entend.

Que dois-je penser de Votre promesse de venir me rejoindre dans deux mois? Si j’y ajoutais foi, j’en aurais été bien aise, mais le fait est que cela me paraît un peu fable. À peine entré en fonction, pouvez-Vous décemment demander un congé, ne serait-ce que pour 10 jours, et l’obtiendrez-Vous quand même Vous Vous y décidériez? Aussi, mon bon ami, je me garderai bien de parler à mes parents de Votre projet de m’emmener avec Vous cet hiver. Pourquoi leur ferai-je de la peine d’avance et pour rien du tout, peut être, pourquoi leur faire craindre, redouter Votre retour, tandis que j’attendrai ce retour avec tant d’impatience? Ne Vous en déplaise donc, je ne ferai aucun préparatif dans ce

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genre, mais je tâcherai de m’arranger avec le maître de la maison pour ne pas faire de contrat à l’année: j’arrêterai la maison jusqu’au mois de Mai et en vérité je ne me tromperai pas de beaucoup, je crois.

Au nom de Dieu, donnez-moi des nouvelles de Léon1): son silence commence à nous donner de véritables inquiétudes; toutes les idées noires me reviennent sur son compte, je pense quelquesfois même..., en un mot tout ce qu’il y a de plus terrible se présente à mon esprit. Est-il possible qu’il ne soit pas encore à son régiment? Au mois de Juin il était en chemin pour s’y rendre; mais j’espère que Vous me donnerez quelques renseignements le plutôt possible. J’attendis tous les jours de Vos nouvelles; Vous n’étiez jamais paresseux, et je m’en prends tout bonnement soit à Bouh[oltz]1) ou à la poste.... Que dites-Vous du temps qu’elle a mis à me faire parvenir l’argent? Il faut croire que cela sera la même histoire avec le papier au nom de Lermantoff. Maintenant je me repents de Vous avoir inquiété à ce sujet dans ma dernière lettre. Merci pour les souliers, mais Vous avez eu tort, mon cher ami, de les faire faire sans avoir ma mesure, et puis je suis trop peu l’élégante, чтобъ носить выписныя башмаки, le port même coûtera plus que les souliers, et il leur faudra tirer ma révérance: j’ai le pied si étroit, qu’à peine ici je puis trouver des souliers qui m’aillent bien, et on m’a dit qu’on a l’habitude de les faire excessivement larges à Varsovie; au reste, c’est égal, je pourrai en faire présent en tout cas.

Je crois que Vous êtes étonné de mon silence, pourvu qu’il ne Vous inquiète pas seulement, mon cher ami. J’ai séjourné quelques jours à Pavlovsky, et de là je suis revenue avec maman, qui a passée une semaine chez moi, afin de

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chercher un logement tout à son aise; mon père aussi a été et je les attends demain encore; en attendant qu’ils déménagent chez eux, ils ont pris une maison à l’année au Pont Bleu1), et pour nouvelle je Vous dirai que M-lle Roudolphe demeure chez nous; elle quitte Votre Madame Koucheleff qui n’a plus besoin de sa société, ayant sa nièce à l’heure qu’il est; son affaire n’avance guère et peut durer des éternités probablement. Md. a tout l’air de prendre son mal en patience, elle a une maison charmante.... Si Vous revenez, Vous la retrouverez donc toujours la même; l’inconstance n’est pas son défaut à ce qui paraît. À propos, avez-Vous reçu ma lettre avec celle de Marcoff? Il a été à plusieurs reprises chez moi, le pauvre garçon, — pâle et défait, comme un déterré, ne rêvant et ne parlant que médecins et choléra, lesquels, n’en déplaise, ont fait de jolis ravages à Pétersbourg. Rehmann2) est mort; maman en a été affectée presque jusqu’au larmes; on en a fait une pompeuse oraison funèbre dans la „Пчела“, mais pas moins ses malades ne s’en porteront que mieux, j’en suis persuadée. Que tous les démons les bénissent — ces médecins et les emportent bien loin d’ici! Je leur en veux plus ce que jamais, depuis quelque temps surtout: ils ont fait mourir le pauvre Baron Korff le marié, le colonel des Sapeurs, cousin et beau frère de Modeste3); il y a 3 jours que son enterrement a eu lieu; on m’a envoyé un billet, mais jusqu’à présent je ne puis me décider à aller dans la maison; j’attends ma mère pour m’y rendre avec. Sa femme est au désespoir, Modeste à l’église a eu des attaques de nerfs, comme une femme, jusqu’à avoir des accès de rire; on l’a emporté sans connaissance de là. Toute la famille est dans la désolation. Vous ai-je dit que

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Mll. Okouneff a aussi terminé sa triste existence? J’ai été presque témoin de ses derniers moments; j’ai été ensuite à l’enterrement et cela m’a dérangé pour une couple de jours; il n’y a rien à dire, ce n’est pas ce qu’il y a de plus amusant dans ce bas monde que les enterrements. Les messieurs dans le genre de V. vaillent mieux, je crois, — qu’en dites-Vous? — Mais quand donc cela aura t’il une fin? On tire des canons! On illumine la ville!! On va faire une parade et chanter un Té Déum!!!.. et Модлинъ et Замойсць des мятежники! Que fait la Garde? Le régiment des chasseurs à cheval restera-t-il à Varsovie, reviendra-t’-il à Pétersbourg, quand finira la guerre? Je ne comprends rien à la gazette, il faut l’avouer. Aussi je ne m’abonnerai plus pour la chère „Пчела“, qui est bête comme 36 pots! À propos: connaissez Vous les vers d’Alexandre1) sur la prise de V[arsovie] et ceux de Joukovsky? Cela fait sensation, mais au point qu’on s’est amusé à les traduire en allemand et en français, et à les estropier comme de raison d’une manière pitoyable en français, et malheureusement c’est mon ex-amant Bakounine qui en est l’auteur ou l’estropieur; j’en suis bien fâchée, car j’ai toujours un peu de tendre pour lui.

Dites moi, mon cher, comment cela se fait que Vous prétendez qu’il n’y a pas de spectacle à Varsovie et que M-r Yasicoff Valérien prétend le contraire et dit qu’il y a été? Lequel de Vous баснословитъ? Faites moi le plaisir, mon cher, de Vous informer de la santé de son frère Alexandre2), Cap. au régiment Préobragensky: il a été comme volontaire et il

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est blessé bien grièvement; on dit qu’il ne bouge pas, qu’il est bien mal. Sa mère l’ignore et elle est dans l’espoir qu’il obtiendra la croix de Saint George, ayant été le premier à monter sur la première batterie. Elle lui a envoyé pour le distraire les vers d’Alexandre, copiés de ma main, mais je crains que cela ne soit une peine perdue, qu’il se sent trop mal pour les entendre et les comprendre; ты ихъ вѣрно достанешь теперь, оттого я ихъ и не посылаю. Прощай, другъ мой, будь здоровъ. Ширкова стихи я потеряла не знаю какъ; незавидные, нечего сказать, особенно при Ж[уковскаго] и Брата стихахъ.

Мимоходомъ скажу тебѣ, что я возобновила знакомство съ Языковыми, съ Штакельберками, что я довольно рѣдко бываю дома, приглашеній безчисленное множество, — mais à la lettre cela commence à m’ennuyer; il y a une Md Brentchaninoff et Harlinsky, qui veulent à toute force m’avoir chez elles, mais j’ai déclaré que c’est un peu trop, que si elles viendront chez moi, je ne leur rendrai pas de visite. — Mon ex-amie Md Tchagine est ici et mes bonnes amies les demoiselles Boborykine, Annette etc. Lequel des frères avez-Vous vu: est ce mon adorateur Basile? Adieu, mon cher, écrivez moi, donnez-moi des nouvelles satisfaisantes de Léon1) et je Vous embrasserai alors le plus tendrement possible en idée.

Votre fidèle femme Olga. En avez-Vous une autre?

Помѣта Н. И. Павлищева: 

31 Октяб.

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12 Нояб.

 1831.

Сноски

Сноски к стр. 93

1) Баронъ Бухгольцъ (какъ и Дурасовъ) былъ товарищемъ Н. И. Павлищева по Лицейскомъ Пансіону. Л. П.

2) Александръ Сергѣевичъ Пушкинъ.

Сноски к стр. 94

1) Левъ Сергѣевичъ Пушкинъ.

1) См. выше, стр. 93, прим. 1.

Сноски к стр. 95

1) У Синяго моста въ Петербургѣ.

2) Лейбъ-медикъ Осипъ Осиповичъ Реманъ.

3) Баронъ, впослѣдствіи графъ, Модестъ Андреевичъ Корфъ, лицейскій товарищъ А. С. Пушкина.

Сноски к стр. 96

1) Александръ Сергѣевичъ Пушкинъ.

2) Александръ Петровичъ Языковъ, впослѣдствіи генералъ-лейтенантъ и Директоръ Императорскаго Училища Правовѣдѣнія; отличился беззавѣтной храбростью на штурмѣ Варшавы 26-го августа 1831 г. и былъ тяжело раненъ; за свое выдающееся въ этомъ дѣлѣ мужество награжденъ орденомъ Георгія 4-й степени. Скончался за границей, гдѣ лѣчился, въ началѣ семидесятыхъ годовъ прошлаго столѣтія. Его сестра Александра Петровна была за графомъ Ивеличемъ. Л. П.

Сноски к стр. 97

1) Л. С. Пушкинъ.