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Le 4 Juin 1831. [Петербургъ].

Votre lettre est venue bien à propos pour calmer mes inquiétudes, mon bon ami. Je ne savais que penser de Votre silence et toujours dans l’attente de Vos nouvelles je ne Vous écrivais point. J’envoyais ma dernière lettre à la Chancellerie du Grand Duc, — au nom de Kalsakoff; puisque la première Vous est parvenue, j’espère que la dernière ne s’égarera pas non plus; quant au tabac de France, il y a un siècle que Vous eussiez dû le recevoir; je l’envoyai par poste au nom de M-r Gendre.

Merci, mon bon ami, un million de fois merçi pour Votre exactitude; je vois que ce n’est qu’à la poste que je dois m’en prendre, lorsque je manque de Vos nouvelles, et puis Monsieur Albrecht, qui se donnait la peine de m’envoyer Vos lettres, est parti pour la campagne; il se peut qu’il s’en trouve à la Chancellerie, — ce dont je tâcherai de m’en informer. Comme Votre gouvernement provisoire est insoutenable! J’avais bien raison de m’en attrister si fort. Dieu sait pour combien de temps nous sommes séparés; maintenant sûrement d’aucune manière Vous ne sauriez venir ici, obtenir de semestre avant d’avoir été employé quelque temps. Ah! comme je Vous en veux quelquefois pour Votre précipitation! Je Vous ai écrit que la place que Vous avez demandée à Syrrah se trouve vacante; qu’on l’a proposée à Monsieur Gabbe qui la refuse, qui cherche quelqu’un pour le remplacer; s’il Vous serait possible! Mais non, ce qui est fait est fait, il n’y a rien à faire encore, sinon d’avoir de belles espérances!... est-ce grand chose?

Maintenant je Vous dirai que mon frère et sa femme1) sont venus s’établir ici et qu’en attendant ils passeront

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l’été à Царское Село. Ils m’engagent beaucoup à demeurer avec eux, en attendant Votre retour; mais comme le terme de la maison n’est pas échu, j’employerai le temps à faire mes réflexions là-dessus et voir un peu la manière dont ils vivront. Ils sont enchantés l’un de l’autre; ma belle soeur est tout à fait charmante, jolie et belle et spirituelle, avec cela bonne enfant tout à fait. Quant à Léon1) il est passé à l’armée active et devra bientôt réjoindre son régiment; j’espère que jusque-là la guerre tirera à sa fin, — il en est bien temps.

C’est Markoff qui est venu me remettre Votre lettre, ainsi que l’argent qu’il Vous devait et que j’avais bien conscience de lui prendre; il paraît être gêné dans ses affaires depuis la grande maladie qu’il a faite: les médecins et les drogues lui ont donné du fil à retordre, il s’en est plaint grandement — pauvre garçon! C’est un si bon enfant! Cijoint une lettre de lui... Dieu sait si Vous recevrez le paquet: la poste est détestable; figurez Vous que ce n’est qu’avant-hier que je reçus Votre lettre du 14 Avril, et le lendemain du 15 Mai, de sorte que trois jours j’ai la consolation de Vous lire; c’est toujours quelque chose pour moi. Croyez à mon attachement bien vif; il était peut-être la seule cause — durant ma maladie — de mes emportements, de mon désespoir, qui ne me venait que lorsque je Vous croyais refroidi à mon égard, en dépit de ce que dit mon frère Alexandre2), qui prétend que j’avais un commencement de folie, vu le changement de mon caractère qui de tout temps avait été d’une douceur extraordinaire; il est vrai que mes nerfs dérangés y étaient aussi pour beaucoup, je le sens maintenant; depuis que je me porte mieux, je suis devenue meilleure et j’aime mieux tout le monde à l’exception

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du cher Oncle1), que par parenthèse j’ai vu chez mes parents aujourd’hui et auquel je n’ai pas eu le courage de remettre Votre billet. Laissons le en repos, — je crois que cela vaudrait même mieux de Votre part; aussi je ne lui ai pas dit que je Vous en fait mes plaintes, autrement cela pourrait nous attirer des désagréments sans fin. Il n’y a rien maintenant que je n’attends de lui, et l’idée qu’il se mettrait en tête de se venger m’ôte l’envie de lui faire part de Votre épître; au reste, comme Vous voudrez, mon bon ami, mais au nom du Ciel ne m’ôtez pas l’espoir de Vous revoir cet automne. Si au mois de Septembre il Vous serait possible de prendre un congé pour quelque temps, — pour vingt-huit jours au moins, — comme j’aurais été heureuse, mais venez ici à Pétersbourg; si je vais à la campagne, je ne voudrais pas être aussi longtemps que l’année passée, et puis je redoute les quarantaines; on prétend que la ville sera cérnée et qu’en attendant le choléra est à Pskoff ou près de là, et je ne voudrais pas être emprisonnée à Michalowsky, si la maladie vient ici.

Adieu, mon bon ami, la prochaine fois je Vous écrirai davantage. Il me paraît toujours que cette lettre ne Vous perviendra point. Comme on se moque de Votre gouvernement provisoire! Et moi je l’aurai en horreur, si Vous ne revenez cet automne. Votre fidèle amie

Olga.

Léon2) est à Tiflis, mais il est passé à l’armée active et va réjoindre son régiment. On dit que la baronne Delvig se marie; devinez à qui? Et Euphrosine Woulf s’est mariée au baron Vrevsky.

Soyez sur, mon bon ami, de mon vif attachement pour Vous, pensez que mon bonheur ne dépend que de Vous

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depuis que je suis à Vous et que loin de Vous je ne saurais être heureuse, — ni même tranquille. Ah! croyez que je Vous aime autant que je puis aimer et que mon unique désir est de Vous le prouver, de Vous faire oublier les peines que je Vous ai causées durant ma maladie. Adieu, mon bon ami, portez Vous bien.

На оборотѣ: Въ Минскъ. Его Высокоблагородію Николаю Ивановичу Павлищеву. Находящемуся при Господинѣ Предсѣдателѣ Времяннова Правленія Царства Польскаго Действительнымъ Тайнымъ Совѣтникѣ Енгелѣ. Помѣты почтовыя: Чрезъ Брестъ въ Интенданствѣ действующей арміи. Минскъ. 14 Іюня. Помѣта Н. И. Павлищева: Varsovie 2 Septembre.

Сноски

Сноски к стр. 66

1) Александръ Сергѣевичъ и Наталья Николаевна Пушкины.

Сноски к стр. 67

1) Левъ Сергѣевичъ Пушкинъ.

2) Александръ Сергѣевичъ.

Сноски к стр. 68

1) Семенъ Исаковичъ Ганнибалъ.

2) Л. С. Пушкинъ.