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Le 20 avril 1831. [Петербургъ].

Merci, mon bon ami, merci, un million de fois merci pour vos deux lettres et surtout pour le portrait: c’est le premier moment de joie que j’ai eu depuis Votre départ; grâce à Dieu, notre correspondance peut s’établir maintenant: j’aurai régulièrement de Vos nouvelles et je ne craindrai plus que mes lettres ne s’égarent. C’est le général Albrecht, si je ne me trompe, le frère de Madame Gendre, — qui m’a envoyé ces lettres, il se charge d’expédier ma réponse, si je peux l’écrire aujourd’hui. Je le fais donc à la hâte, mon bon ami. Cette lettre sera courte, ne m’en voulez pas; il est vrai, que j’aurais pu attendre jusqu’à après-demain et ne pas envoyer du tout chez ce bon Général, qui vient de me faire tant de plaisir, — mais c’est pour réparer une bévue impardonnable que j’ai commise dans la joie que j’ai éprouvée d’avoir enfin de vos nouvelles, — j’oubliai de remercier le domestique, son messager. Cela fait que j’ai contracté une dette qui me pèse sur la conscience et dont j’en veux être débarrassée le plutôt possible. Avant de Vous parler d’affaire, il faut que je Vous parle encore de Votre portrait. Je ne fais que le regarder et l’ai déjà encadré à la place de portrait d’Alexandre, — du petit portrait

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qu’on trouvait si peu ressemblant1); c’est Vous dire que je préfère le Vôtre, que j’en suis très contente; on Vous a alongé et avancé un peu la partie inférieure du visage, ainsi que la lèvre inférieure, mais c’est si peu de chose que rien. En revanche le front, les yeux, le regard etc. sont parfaits.

Je n’ai pas reçu de lettres de Grodno, ni celle de Dinabourg; la dernière que je reçus était datée de Vilna du 17 de Mars; cela fait que je commençais à être inquiette au sujet de Votre santé. Je voulais envoyer demain chez Md. Fourmann savoir, si elle n’avait pas des nouvelles de son mari. J’en suis enchantée à l’heure qu’il est d’être quittée de cette besogne. Et mes lettres à moi les avez-Vous reçues? J’en ai écrites deux que j’adressai au Quartier Général, et toutes les deux étaient très détaillées. J’en serais fâchée, si elles ne Vous sont point parvenues: je Vous disais là tout plein de choses intéressantes que je n’aurai pas le courage de répéter et dont j’ai oublié au moins la moitié, si ce n’est la persécution de M. Hannibal2): il m’écrit, il joue le désespoir, il se présente tous les jours à ma porte, mais elle est et sera constamment fermée pour lui. Sa conduite m’a tout autant étonnée que choquée, si je Vous en disais tous les détails! Il suffit que je fus obligée de crier deux fois après ma fille de chambre et que j’en fus presque malade de frayeur. — Au reste, je n’ai pas jugé à propos d’en faire des plaintes à mes parens, comme il le crut un moment, ce qui fait que je le vois chez eux assez souvent, mais il n’ose plus m’adresser le mot, et si je lui parle, moi, c’est uniquement pour ne pas faire d’éclat et d’histoire: mon père ne les aime que trop.

Je ferai Votre commission de tabac le plutôt possible; en revanche, mon bon ami, écrivez un mot de grâce à Votre

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tailleur, qui me persécute, qui a été quatre fois chez moi: Vous lui devez 405 roubles, comme je Vous l’ai déjà écrit. Le наборщикъ aussi me demande 140; le relieur ne me rend pas le reste des exemplaires, mais c’est peu de chose et c’est mon affaire, ainsi que le petit écrivain. Encore une fois, pourquoi avez-Vous emporté le premier chapitre des „Fiancées“1), écrit au net? Si je l’avais chez moi, le premier volume eut été déjà chez le Censeur; envoyez moi cela et dites moi ce qu’il faut que j’en fasse. Adieu, mon bon ami.

Depuis quelque jours ma santé est mauvaise; c’est grâce aux dévotions que j’ai faites, au maigre que j’ai mangé; je sens des maux de poitrine et je crache beaucoup de sang, surtout quand je reste longtemps assise; ce mal vient de me reprendre à présent, mais ne vous inquiéttez point, un peu de repos me remettra. Anitckoff2), Marcoff3) et Lineman ont été chez moi encore, Naoumoff aussi est revenu, mais Dourassof4) n’a pas même envoyé chez moi. Je prierai Marcoff de repasser pour parler de Vous. Hier il a été sans me trouver et a beaucoup demandé de Vos nouvelles à Natalia5). À propos: Alexandre6) vient s’établir ici ces jours-ci et passera l’été à Zarskoé-Selo.

La charmante habitude qu’on a prise de piquer les lettres a endommagé un peu Votre portrait: l’oreille en a souffert et le frac.

Помѣта Н. И. Павлищева: Bialystok, 31 Avril, à l’adresse de M-r Gendre.

Сноски

Сноски к стр. 52

1) А. С. Пушкинъ.

2) Семенъ Исааковичъ Ганнибалъ; см. выше.

Сноски к стр. 53

1) Н. И. Павлищевъ переводилъ тогда съ итальянского романъ Манцони „I promessi sposi“. Л. П.

2) Товарищъ Н. И. Павлищева по службѣ. Л. П.

3) Извѣстный гитаристъ. Л. П.

4) Дурасовъ его лицейскій товарищъ. Л. П.

5) Горничная О. С. Павлищевой. Л. П.

6) Александръ Сергѣевичъ Пушкинъ.