48

Ce 11 Avril 1831. [Петербургъ].

C’est la seconde lettre que je Vous écris, mon bon ami, mais je ne la ferai pas aussi longue que la première: je n’ai plus le courage de Vous écrire beaucoup, il paraît que c’est une peine perdue, que jamais mes lettres ne Vous parviendront avant que Vous ne soyez installé! Je n’ai aucune foi dans l’adresse que Vous me donnez, et les occasions m’inspirent encore moins de confiance, et — ne Vous en déplaise — je ne ferai pas un pas pour en déterrer. M-d Enguel m’ennuie ainsi que Mad. sa fille, pas elles tout à fait, si Vous voulez, mais d’aller chez elles, et puis on s’imaginera que c’est par intérêt, pour chercher protection, et ceci et cela, ce dont je n’en suis nullement curieuse. Faites la cour à leurs maris, c’est tout ce qu’il faut, croyez moi.

À propos, un certain allemend ici a dit que l’Ange avait pris un Fourmann1) pour chasser Adam du paradis. Je suis bien fâchée que l’Ange n’a point d’ailes, et que Fourmann soit Fourmann tout de bon; en vérité, cela m’impatiente pour Vous, mon cher. Je finirai par maudire le Génie qui Vous inspira de me quitter pour cette détestable Pologne et d’avoir recouru à mon Père pour le faire. Vous sentez bien que cette malédiction ne manquera pas de retomber un tant soit peu sur Vous. Ah! mon bon ami, je voulais plaisanter et je suis triste; je vois que je n’avais pas tort de pleurer comme je l’ai fait à Votre départ. Dieu sait, si dans un an il me sera possible d’espérer Vous revoir,

49

seulement Vous; cela ne Vous attriste pas, j’en suis sûre. Vous avez remué ciel et terre pour me quitter, tranchons le mot, et Vous ne Vous en repentez pas, sûrement. Mes pleures, mes reproches, ma tristesse, ma maladie — tout cela Vous ennuyait trop; vous ne voyez et n’entendez rien de tout cela maintenant, et ma jalousie, par dessus le marché, — je l’oubliais encore; ce n’est pas non plus un petit point que ma jalousie, elle Vous ferait perdre patience tout patient que Vous êtes. Ah! mon cher, Vous ne m’aimez point, jamais Vous ne m’avez aimée. Je Vous dis tout cela, car cela me passe par la tête maintenant, et que je suis presque sûre que vous ne recevez pas cette lettre, et que si vous la recevez, vous en ferez peu de cas, non pas tout a fait de ma lettre, mais de ce que je viens de vous écrire ci-dessus. Vous êtes philosophe là-dessus, à propos, mais le serez-vous, quand je Vous dirai que je fus obligée de refuser la maison à Семенъ Исакичь1). Imaginez Vous que sa conduite a été indigne; je ne veux pas même vous en donner des détails, je vous ai dit dernièrement, comment il me fesait sa cour; mais à présent il a chanté autrement — cela est bien désagréable, d’autant plus que, ne voulant pas faire d’histoire, je me suis gardée d’en faire des plaintes à mes parents, et que bon-gré, mal-gré je le vois souvent là de cette manière, mais comme je ne lui parle point, on finira par s’en apercevoir.

Me voilà au bout de mon papier, et il faut que je Vous parle affaire: j’ai payé votre écrivain — je lui ai donné 23 roubles; votre tailleur m’a apporté le compte, — une dette de 400 et quelque chose, le relieur ne me rend pas le reste des exemplaires avant que je ne lui paye 15 roubles; avant hier le наборщикъ est venu me demander 140

50

roubles1). Gela m’ennuie excessivement: j’ai peu d’argent, très peu, et les fêtes viennent; il faudra payer le maître de la maison, et je crois que c’est bien 360 avec les 50 que Vous lui devez, et non pas 225, comme Vous me l’aviez assuré, car si c’est par tiersal, c’est facile à compter. Je fus obligée de faire maintes dépenses, entre autre une nouvelle livrée, quelques nippes aussi pour moi, quoique ma toilette n’est guère brillante, et si ce n’était l’exactitude de Licardoff2), j’aurais déjà été sans le sou; je ne sais, si mon père3) me donnera quelque chose pour Pâques — cela ne serait pas mal à lui. Mon frère4) vient s’établir ici au mois de Mai, — et voilà encore des dépenses, si ce n’est pour l’équipage — c’est pour la toilette. Je ne veux pas être cuisinière en comparaison de la belle soeur5), qui est d’une élégance à toute outrance, à ce qu’on dit. Au reste, je vous dis tout cela pour Vous faire entendre que je ne prends pas sur moi de payer Vos dettes. Je ne me suis pas encore informée de la vente de vos livres. Sauf tout le respect que Votre talent m’inspire, il me parait qu’il ne Vous débarassera jamais ni de Votre tailleur, ni du наборщикъ, ni même du relieur. Sur ce adieu, mon bon ami: il est temps d’expédier ma lettre; portez Vous bien; si elle vous a fait de la peine dans certains endroits, pardonnez le moi, croyez que je Vous aime et que j’ai besoin d’être assurée de Votre attachement pour moi: c’est ce qui manque à mon bonheur et pour mon

51

bonheur. Adieu encore une fois. — À propos, il m’est impossible de vous taire qu’outre le susdit cousin1) il y a un autre quelqu’un qui me fait grandement la cour, mais pas aussi crûment et brutalement. C’est pour Vous rendre jaloux, que je Vous l’écris.

Olga P.

Помѣта Н. И. Павлищева: Minsk, 23 Mai, въ Главную Квартиру.

Сноски

Сноски к стр. 48

1) Тутъ каламбуръ: Ольга Сергѣевна подъ „Ange“ подразумѣваетъ дѣйствительнаго тайнаго совѣтника Ѳ. И. Энгеля („Engel“ по-нѣмецки „Ангелъ“), а подъ „Фурманомъ“ (извощикомъ) — тогдашняго высокопоставленнаго сановника Фурмана. Вѣроятно и Адамъ (Adam) — собственное имя другого чиновнаго дѣятеля; фамилія сего послѣдняго мнѣ неизвѣстна Л. Павлищевъ.

Сноски к стр. 49

1) Семенъ Исаковичъ Ганнибалъ, двоюродный дядя Ольги Сергѣевны (см. выше).

Сноски к стр. 50

1) Послѣднія суммы касаются расходовъ за напечатаніе переведенныхъ Н. И. Павлищевымъ иностранныхъ романовъ. Л. П.

2) Лихардовъ, знакомый Николая Ивановича, занявшій у него деньги, которыя аккуратно возвратилъ. Въ домѣ Лихардовыхъ Николай Ивановичъ былъ представленъ въ 1827 году на вечерѣ родителямъ Ольги Сергѣевны Пушкиной и ей самой. Л. П.

3) Сергѣй Львовичъ. Л. П.

4) Александръ Сергѣевичъ.

5) Наталья Николаевна, жена Александра Сергѣевича.

Сноски к стр. 51

1) С. И. Ганнибалъ.