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Михайловское, ce 24 Août. 1833.

Demain nous allons à Ostroff pour assister à la Noce de Paulinka2), où je serai Mère assise; le tems et les routes sont épouvantables, mais il faut passer par là; tu sais, ma bonne amie, comme je crains les mauvais chemins, tu conçois mes inquiétudes. Annette Woulf3) qui est presqu’aussi courageuse, nous accompagne avec crainte, mais l’espoir de danser et de s’amuser à la noce lui donne le courage qui me manque. Cette lettre partira avec moi pour être expédiée ce 28; il me semble qu’elle te parviendra plustôt que de Novorjew; si j’ai le tems, j’ajoutterai encore quelques lignes pour te parler de tout ce train qui nous attend chez la cousine4), mais je ne crois pas que j’y puisse

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trouver une place, car toute Mère assise à peine pourraije me tenir debout, la maison sera tellement remplie qu’à peine pourrons nous remuer, et les allées et venues de Сухопольцово à Ostroff, les dîners et les bals me prendront tout mon tems. Je me fais une fête d’avance du plaisir que j’aurai à retourner à Михайловское et pour comble de satisfaction d’y trouver peut être une lettre de vous, mes bien chers Enfans1). Annette a voulu t’écrire, mais elle est toute occupée des préparatifs pour notre voyage, elle fait des robes et des modes pour paraître belle à toutes ces fêtes; elle t’écrira à son retour. Je te dirai pour nouvelle que la pauvre Madame Kerne vient de perdre sa petite Olinka; elle charge Annette de te faire part de son chagrin, étant sûre que tu donneras quelques regrets à ta filleuile; mais ce qui peut la consoler, — c’est la mort de son Mari2); je ne sais, si c’est vrai, mais c’est une nouvelle qui nous est parvenue depuis peu, elle l’ignore peut être encore. La lenteur de la poste me désole, mais que cela ne vous empêche pas de continuer à nous écrire. Je vais toujours mon train, et les momens où je m’entretiens avec vous, mes bons amis, me raprochent de vous au moins en idée. Depuis ton pélérinage, chère Olga, ou plus tôt ton projet de le faire, je ne sais rien de ce qui se passe chez vous, je me contente de relire chaque jour vos lettres, c’est ma seule consolation; je vais de tems en tems voir les habitants de Тригорское, Прасковья Алекс.3) ne quitte presque pas le lit, elle est toujours malade; la vieille gouvernante se meurt, on a envoyé après le médecin, la maison est triste et déserte, le vent et la pluie se font entendre

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de tous côtés. J’ai fait une petite course ces jours-ci chez nos voisines, — les Timof[éeff]1) et Madame Poustchine; elles sont si bonnes, si contentes de me voir, que je me fais un plaisir d’être chez elles et de les avoir chez nous; pendant mon absence les Chouchoux2) sont venus à Михайловское, au grand désappointement de papa; ils sont restés vingt quatre heures avec lui, et puis ils ont continué leur route de visites en visites comme de coutume, promettant de revenir bientôt, quoique je n’ai pas encore été chez eux depuis mon arrivée. J’aime assez Madame Chouchou, mais je crains le pont de la Каруза, qu’il faut absolument traverser pour aller à Ругодиво. Notre pauvre voisin Рокотовъ3) est bien mal, il s’avise de prendre le remède homméopatique qui le conduira à l’autre monde.

Je n’ai aucune nouvelle de Pétersbourg depuis qu’Alexandre4) nous a écrit que sa femme est accouchée5), hors la lettre du baron Rozen, qui nous a fait beaucoup de plaisir concernant Léon. Dieu veuille qu’il soit satisfait. Adieu, chers amis, portes vous bien, ecrives nous toujours par Novorjew, — la poste y est plus sûre que celle de Синскъ, où Прасковья Алекс. oublie souvent d’envoyer à cause de sa mauvaise santé, les lettres se perdent, qu’on laisse trainer pendant des semaines à Тригор., comme à Синскъ. Adieu encore une fois, je cède ma plume à votre Père qui est impatient de s’entretenir aussi avec vous. Je vous embrasse mille fois et vous serre contre mon coeur.

Приписка Сергѣя Львовича: J’ai voulu, mon cher Léon,

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t’envoyer la lettre du Baron Rosen, mais comme il étoit intentionné de te faire parvenir par Николай Ивановичь l’ordre du jour à ton sujet sitôt qu’il sortira, je crois que cela n’est plus nécessaire et qu’au moment que vous recevrez cette lettre, mes chers enfans, tu sera dejà au fait de tout. L’essentiel est qu’il me dit que tu es complètement justifié d’après les renseignements que l’on a reçu de Varsovie, et que tu ne tarderas pas à obtenir ce que tu désires. — C’est un bien bon enfant que ce Baron, son billet est bien aimable; il me promet de m’envoyer en même tems la copie du Приказъ.

Maman a bien raison de dire que j’ai été desapointé par l’arrivée des Choucherine. Imagine toi, chère Olinka, que ce malheur m’est survenu au moment, où j’allais me mettre à un tout petit dîner fait pour moi seul à deux heures et demi, et non contents de venir avec 10 chevaux, ils m’amènent encore Monsieur Lanskoy et un Ostrogoth que je n’avais jamais vu, et qu’ils appellent je crois Monsieur Delphini. Tout cela couche chez moi et heureusement repart le lendemain à huit heures du matin, — j’étais sur pied depuis cinq. — Les fêtes de Сухопольцово me fatiguent aussi d’avance, mais ce qui me console, c’est que si on obligera maman de rester plus longtems que nous ne le désirons, — je m’en irai avec Mademoiselle Woulf. Nous nous sommes arrangés ainsi. — Il n’y a pas de mal sans bien (j’allais dire du bien sans mal). Le mauvais tems et les pluies ont tellement augmenté les eaux, qu’elles ont formées deux cascades superbes chez nous au jardin, de manière que nous y avons trois étangs et une petite rivière. — Voici l’épitaphe de Rousslan1):

Ci-gît Rousslan, mon compagnon fidèle,
Des vrais amis il fut le vrai modèle,

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Il m’aima pour moi seul, jamais n’exigea rien;
Passe s’en étonner: Rousslan était un chien.

Adieu, mes bons amis, je vous embrasse de tout mon coeur et de toute mon âme. J’ai rêvé à toi cette nuit, chère Olinka, mais ce rêve était inquiétant. J’ai pleuré et je me suis réveillé en sursaut. Au reste ce n’est que l’effet de mes idées pendant que je veille, — j’espère que cela n’est pas d’un mauvais augure.

P. S. T’ai-je dit que j’avais une petite chienne de la race de Rousslan, que j’appelle Zaréma. Elle est jolie, mais très vive, saute sur ma table, me léche, me mord, m’égratigne et me déchire mes robes de chambres, mon surtout et mes mouchoirs.

Сноски

Сноски к стр. 13

2) Пелагея Ивановна Меландеръ, дочь Екатерины Исааковны, рожд. Ганнибалъ; она выходила за-мужъ за Василія Яковлевича Кирьякова (см. „Пушк. и его совр.“, вып. XII, стр. 79 — 80). Б. М.

3) Анна Николаевна Вульфъ.

4) Екатерина Исааковна Меландеръ, рожд. Ганнибалъ. Б. М.

Сноски к стр. 14

1) Надежда Осиповна говоритъ и объ Львѣ Сергѣевичѣ Пушкинѣ, проживавшемъ тогда тоже въ Варшавѣ y Павлищевыхъ.

2) Анна Петровна Кернъ, рожденная Полторацкая; ея дочь Ольга была крестницей О. С. Павлищевой; слухъ о смерти ея мужа, Ермолая Ѳедоровича, былъ невѣренъ: онъ умеръ лишь въ 1841 г. Б. М.

3) Прасковья Александровна Осипова.

Сноски к стр. 15

1) См. „Пушк. и его совр.“, вып. XII, стр. 85 и др.

2) Такъ прозвала Надежда Осиповна семейство Шушериныхъ, сосѣдей Пушкиныхъ по Михайловскому. Л. П.

3) Иванъ Матвѣевичъ Рокотовъ — другой ихъ сосѣдъ. Л. П.

4) Александръ Сергѣевичъ.

5) Супруга Александра Сергѣевича, Наталья Николаевна, разрѣшилась 6-го іюля 1833 года старшимъ сыномъ поэта Александромъ Александровичемъ.

Сноски к стр. 16

1) „Русланъ“ — любимая собака Сергѣя Львовича.