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Le 13 Janvier [1837 г. Варшава].

J’ai reçu Vos deux lettres, mon cher Papa: celle du 15 et du 23 de décembre, mais je n’ai pas eu encore de réponse à mes dernières, au reste elle ne pouvait pas encore me parvenir. Je vois, que la poste ordinaire d’ici à Moscou est bien lente, aussi ai-je écrit dernièrement par celle de Pétersbourg et cette fois-ci je le ferai encore.

Ne soyez pas si fort inquiet au sujet de Léon1), cher Papa: il est rentré au service, comme capitaine en second, и считается при Кавалеріи; mon mari et Anitchkoff l’ont vu dans les Приказъ, et mon mari Vous écrira ce qu’il en sait; si ce n’est pas grand’chose, au moins c’est quelque chose de certain. Quant à ses dettes, il faut espérer qu’elles ne sont pas très considérables (si toute fois Léon n’en n’a pas fait de nouvelles) et qu’avec une partie de l’argent, qui lui reviendra de Михайловское, il sera débarrassé de ses créanciers, au moins j’ai tort de le croire d’après sa lettre, qu’il nous a écrit au mois d’Août, lors de sa rentrée au service.

M’est-il nécessaire de Vous remercier encore une fois pour tout ce que Vous daignez faire pour moi, cher Papa? Je sens que je ne parviendrai jamais à Vous en témoigner toute ma reconnaissance, mais pour rien au monde je ne voudrais Vous savoir dans de nouveaux embarras à cause de moi; je sais que cela demandera des dépenses! De grâce, en ce cas remettez ceci à un temps plus favorable, quand Vous

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ne serez pas si gêné dans Vos affaires. Grâce à Dieu, nos affaires à nous vont bien et pourvu que mon mari se porte bien je serai tranquille et contente: le Maréchal1) est bien avec lui comme par le passé. — A l’instant je viens de parler de Vous avec S. Batourine; il est ici pour 3 jours et part demain pour Moguileff, où Маргарита Ивановна2) le réjoindra, ce que Vous savez sûrement aussi bien que moi. C’est un hasard, que nous a réuni ici: il s’était adressé pour avoir de mes nouvelles à un quelqu’un qui lui a dit que mon mari était seul ici, et que j’étais à Pétersbourg; mais dimanche mon mari, en revenant de la soirée du Maréchal, m’a dit qu’il avait vu une étrange figure de général, nouvellement arrivé, qu’on lui a dit être le général Батуринъ; il avait entièrement oublié que je lui avais parlé de Batourine, comme d’un proche parent, que j’aurais été très contente de revoir ici. Et si Batourine ne lui avait pas paru étrange, nous ne nous serions pas vus. Lundi je le déterrais et depuis il est venu deux fois et m’a promis de venir demain encore pour nous faire ses adieux. Si Vous voyez Marguérite, dites lui que son mari se porte très bien. A propos: il faut Vous dire, mon cher Papa, que je suis entièrement débarrassée de mes malaises...., et puis je suis si contente de notre nouveau domicile3), nous y sommes si commodément, si proprement, que je me sens toute autre, et Lolo est plus gai et a repris de même. Il parle tout et c’est un grand parleur; on le trouve très gentil et très spirituel — c’est qu’il aime le monde et la musique à la passion et il fait toujours l’aimable alors. Il est drôle pourtant, quand il n’a pas ses caprices. Сегодня онъ очень меня разсмѣшилъ — Мужъ разбиралъ новую піесу, а онъ вдругъ захлопнулъ дверью: Не могу слушить, папа нехорошую

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пѣсню играетъ (il prononce très bien à l’exception de l’r et de l’l), — и это изъ другой комнаты, надо знать, въ то время, когда самъ игралъ съ коровками своими.

Quant à mon genre de vie, il est toujours le même: je suis toujours à la maison, c’est à dire que je me borne à quelques visites de matin, quand cela devient déja indispensable; mais en revanche je me promène beaucoup à pied et je vais de chez nous aux Lazenki. Ce n’est que chez Madame Lachtine, que je vais me distraire quelquefois les soirs, parceque là je suis comme à la maison en robe de chambre, et m’étends sur le canapé, quand cela me plait, et puis c’est une personne fort agréable, remplie d’esprit et de beaucoup de gaieté dans l’esprit, avec cela aimant tout aussi peu le monde et la toilette que moi. L’autre jour je me suis trouvée dans l’embarras avec mes visites de matin: j’étais allée enfin encore chez la Princesse1); elle allait sortir et m’a fait faire ses excuses de ce qu’elle ne pouvait pas me recevoir dans le moment, mais qu’elle me priait de venir dimanche; je savois bien, que c’était le soir, mais j’allais le matin et ne la trouvais point; deux heures après elle envoie son domestique pour me prier de venir absolument le soir. Je chargeais mon mari de m’excuser de son mieux auprès d’elle. Qu’elle vienne donc à midi. Je voudrais voir plus souvent chez moi Madame Pavlistcheff, car c’est une ancienne connaissance. Je Vous écris ceci, car Son Altesse Елизавета Алексевна n’est ni plus, ni moins ici que Sa Majesté Александра Федоровна à Pétersbourg, ce qui fait que c’est une attention toute particulière. Mais cette fois-ci une impolitesse de sa part n’eût été infiniment mieux arrangée.

Vous ai-je écrit que mon mari a été obligé de prêter serment, que les filles de Madame Lang sont les filles de

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feu son mari? Il ne s’est trouvé qu’un témoin, il en fallait deux. Depuis ce temps il parait que ses affaires vont mieux. Elle sera notre voisine: elle veut louer l’étage supérieur de la maison; je suis bien charmée de ce voisinage. On dit ses filles fort aimables; elles sont encore à Berlin, mais elle a avec elle sa nièce, M-lle Trousoff [?], la fille de ce monsieur, qui venait si souvent chez nous. Elle est bien jeune encore, à la voire on lui donnerait 16 à 17 ans, mais elle n’en n’a pas 14. A propos: Madame Lang на Лелю такъ и ахаетъ: elle prétend que l’oreille musicale de cet enfant est une merveille; il aimera aussi, je crois, la poésie. La bonne contait beaucoup de fables de Крыловъ par coeur et il les lui fait répéter et me fait lire souvent une fable 3 ou 4 fois de suite. Онъ вамъ часто письмы пишитъ, возметъ перо, бумагу и говоритъ: я деди письмо пишу, и водитъ минутъ десять перо вдоль и поперекъ. Adieu, mon cher Papa. J’embrasse mes cousines1) bien tendrement et présente mes respects à ma Tante et à mon Oncle2). Je cède la plume à mon Mari.

Приписка Николая Ивановича Павлищева. J’ai une lettre de Léon, mais d’ancienne date, où il me dit, qu’il a repris le service militaire. Depuis, je me souviens d’avoir lu, en feuilletant les ordres du jour, que отставной Капитанъ Пушкинъ опредѣляется прежнимъ Штабсъ-Капитанскимъ чиномъ по Кавалеріи, съ состояніемъ при Отдѣльномъ Кавказскомъ Корпусѣ.

Ceci est sûr. Or, Tiflis doit être sa résidence habituelle, et s’il la quitte, ce sera à la suite de quelque commission spéciale et toujours pour revenir à son poste, qui se trouve, comme je l’ai dit, à Tiflis. Je crois que son silence provient de ces excursions, qui pourront être assez fréquentes. Une

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fois à Tiflis, il ne fera pas le paresseux, comme p. e. Александръ Сергѣевичъ1), qui se plait à ne pas répondre des mois entiers, malgré l’importance des lettres qu’on lui adresse. J’attribue cependant ce silence d’A. C. aux tracasseries de sa nouvelle charge de journaliste; il en a assez, je crois, puisqu’il n’a pas le temps d’envoyer son Современникъ ni au Maréchal, ni au prince Kozłovski2), lequel pourtant est un des collaborateurs du journal. Au reste, je puis me tromper. Je fais des voeux pour Votre bonheur et la tranquillité parfaite de Vos jours.

Приписка О. С. Павлищевой.

A propos de silence. Madame Ocipoff3) ne répond pas, non plus comme Alexandre, à ma lettre à moi et à celle de mon mari, assez importante. Elle n’a pas de journal à régir, mais ce n’est pas qu’une étourderie très pardonnable à son âge; je suis presque sûre qu’elle s’imagine nous avoir écrit. Sa fille Annette4) ne souffle pas le mot non plus.

Сноски

Сноски к стр. 96

1) Левъ Сергѣевичъ Пушкинъ.

Сноски к стр. 97

1) Генералъ-фельдмаршалъ князь Паскевичъ.

2) См. выше, стр. 95.

3) Уяздовская аллея, домъ Куликевича. Л. Павлищевъ.

Сноски к стр. 98

1) Супруга генералъ-фельдмаршала княгиня Елизавета Алексѣевна Пакиевичъ, рожденная Грибоѣдова. Л. Павлищевъ.

Сноски к стр. 99

1) Ольга и Екатерина Матвѣевны Сонцевы. Л. П.

2) Ихъ отецъ, камергеръ Матвѣй Михайловичъ Сонцевъ, мужъ сестры Сергѣя Львовича Пушкина — Елизаветы Львовны. Л. П.

Сноски к стр. 100

1) Пушкинъ.

2) Князь Петръ Борисовичъ Козловскій (род. 1783 † 1840), числившійся по Министерству Иностранныхъ Дѣлъ, состоялъ при Паскевичѣ; о немъ см. „Остафьевскій Архивъ“, т. III, стр. 551—554.

3) Прасковья Александровна.

4) А. Н. Вульфъ.