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Récit da ma détention
à la forteresse de St.-Pétersbourg.

1826. A St.-Pétersbourg.

On apprit à Moscou l’événement du 14 Décembre par l’arrivée du général Komarovsky1). Le premier jour on ne crut pas que tout était fini; on disoit qu’il y avoit eu une révolte, qu’on avoit tiré les canons et ensuite les uns ajoutaient que tout étoit rentré dans l’ordre, les autres que toute la garde étoit en insurrection.

La journée du 14 Décembre fut suivie de nombreuses arrestations. Elles commençaient à Moscou vers le 20. Nous apprimes d’abord celle de Michel Orloff2) et de Nikita Mouravieff3) qu’on avoit été prendre dans sa terre. Ensuite furent arrêtés les chevalier-garde Svinine4) et Kologrivoff5), puis Kolochine6) et Semenoff7) et le lendemain Michel Narichkin8) et Stengel9). On disoit à Moscou que le général Raevsky10) avoit été pris et que lui, Nikita Mouravieff et Orloff étoient les chefs de la conspiration. A cette occasion quelqu’un qui avoit été aide de camp de Raevsky et qui avoit son portrait dans son cabinet écrivit dessous: „traître“ et le fit mettre dans la cave!

Le 8 Janvier Danzass11) vint me dire qu’on venoit d’enlever Kachkine12). Cette nouvelle anéantit l’espérance que j’avois eue de ne pas être inquiété. Kachkine m’avoit dit

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plusieurs fois qu’il n’avoit jamais appartenu à aucune société secrète; j’attribuais donc son arrestation à ses liaisons avec plusieures personnes gravement compromises et par conséquent je devois m’attendre à éprouver le même sort. Je ne pensais plus qu’à préparer ma famille à mon futur voyage. Je parvins à faire envisager cet événement comme étant fort heureux en ce qu’il me procureroit l’occasion de me jnstifier entièrement aux yeux du public (on tenoit beaucoup à cela); car mes ennemis n’avoient pas manqué de répandre le bruit que j’étois aussi un conspirateur. Persuadé de mon innocence, j’étois sûr d’être libéré aussitôt après mon interrogatoire ou après être resté quelques jours au corps de garde*); je craignois seulement que le voyage ne fit du tort à ma santé, car j’étois convalescent d’une maladie nerveuse. Le soir je rentrais dans mon cabinet et je préparais une lettre adressée à ma femme13) pour lui être remise par la Princesse Dmitri14) quinze jours après mon départ. Cette lettre venue soit disant de Pétersbourg devoit la tranquilliser sur mon sort. Kolochine avoit fait la même chose. Je m’endormis tranquillement. A minuit je fus réveillé par mon domestique qui me remit un billet de D...15) „Mon cher ami, m’écrivoit-il, il faut vous préparer à partir demain matin, et moi aussi je pars“. A l’instant je quittois le lit et j’envoyais mon domestique chez le Prince T...16) pour lui demander sa pelisse**).

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En attendant je plaçais dans un portemanteau quelque linge, une pipe, du tabac, un frac etc. Je voulus ensuite me rendormir, mais cela me fut impossible: j’étois fort agité. Vers le matin je pris gaiement mon parti et, pensant toujours à mon innocence, je ne fus même pas fâché de faire un petit voyage qui me distrairoit et me procureroit le plaisir de voir mes anciennes connoissances de Pétersbourg.

Le 9 à 8 heures du matin j’annonçais mon départ à ma famille et grâce a Dieu tout se passa au mieux. A 9 heures je reçus un billet qu’on me dit venir de la part de Pierre Mouchanoff17); c’étoit une invitation fort polie du Grand Maître de Police de me rendre de suite chez lui. Comme tous mes paquets étoient prêts, je fis mes adieux à ma famille et j’allais chez Choulguine18). Il m’annonça qu’il avoit l’ordre de m’expédier pour Pétersbourg et me dit de retourner chez moi et de lui apporter mes papiers. Je revins donc à la maison; je fis de nouveaux adieux à ma famille et j’apportais au Général de Police un portefeuille contenant mes papiers. Ce brave homme me dit qu’il en avoit agi ainsi avec moi pour ne pas effrayer ma femme et me pria de garder là-dessus le secret*).

Après m’avoir laissé environ une heure dans sa chambre de toilette, il vint me dire que tout étoit prêt, m’embrassa et me remit, moi et mes papiers, entre les mains d’un officier de police à figure rébarbative.

Nous descendîmes un éscalier dérobé et nous nous mîmes dans un traîneau couvert attelé de 3 bons chevaux qui prirent de suite le galop. Pendant que mon conducteur

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visoit son passeport à la barrière, je fis mes adieux au Prince Val. Chakoffskoye24) qui entroit dans la ville et qui ne fut pas peu etonné de me voir.

Après avoir fait silencieusement quelques verstes, j’entamais la conversation avec mon conducteur. J’appris qu’il étoit l’officier de police de la Stretenka et quand je lui eus dit mon nom, il m’apprit qu’il avoit été paysan de mon père25) et qu’il connoissoit beaucoup mon frère26). Il me dit qu’il n’oublioit jamais son premier état et me pria de le considérer comme un serviteur dévoué. A la première station je lui proposais de déjeuner. Je vis en entrant dans l’auberge le Comte Georges Tolstoy27) avec son frère cadet28) qui alloient rejoindre leurs postes. Nous fûmes fort étonnés de nous voir; je pensais d’abord que ces Messieurs étoient aussi arrêtés. Nous commencions à diner lorsque nous vîmes entrer Pierre Mouchanoff17) suivi d’un feldjäger (Заварзаевъ) qui le conduisoit à Pétersbourg.

A la seconde station nous montions en traîneau, quand je vis arriver le Général M. Fon-Viesen29) qui avoit le même sort et qui venoit de sa terre où on l’avoit saisi*).

A Klin je l’abordais et nous fîmes connoissance pendant quelques instants. Bientôt nous ratrappâmes Danzass11). Cette nuit et le lendemain le 10 nous nous arrêtions tous les trois aux mêmes stations pour prendre ensemble le thé et nos repas. A Torjok Mouchanoff pris les devants et nous ne l’avons plus revu. A une station, à quelques verstes avant Novgorod nos conducteurs eurent une conférence secrète, dans laquelle ils décidèrent que nous devions nous séparer, et nous partîmes l’un aprés l’autre avec des intervales d’une

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heure entre chaque départ. Je partis le dernier. Depuis Moscou mon conducteur à chaque poste arrosoit son estomac de quelques verres d’yerofeïtch et il finit par être tout-à-fait soûl à Poméranié, où je fus obligé de le laisser dormir pendant une heure et demie: il ne pouvoit plus marcher.

Dans la nuit du 10 Fon-Viesen qui avoit très froid dans son traîneau découvert et qui souffroit beaucoup d’une blessure au pied qui s’étoit rouverte obtint de son feldjäger de faire une station dans mon kibitka. Mon conducteur se mit avec le sien, et Fon-Viesen se plaça dans mon équipage. Je lui appris que Grabbe31) avoit été pris; il me demanda si Jakouchkine32) l’étoit; je lui dis que non. A la station suivante il trouva dans le livre de la poste qu’un feldjäger avoit passé pour aller à Smolensk, il me dit que c’étoit probablement pour arrêter Jakouchkine et parut fort inquiet. Il me dit qu’il croyoit du devoir d’un honnête homme de ne pas cacher ses opinions, qu’il s’étoit occupé de politique comme théorie, mais qu’il n’avoit jamais pensé aux applications. „Ha! dit-il, je donnerois beaucoup pour être dans une semaine à cette même station, retournant auprès de ma femme!“33)

Pendant la route on faisoit peu attention à nous. Je n’ai vu sur aucune figure l’expression de la pitié ou de l’étonnement; à une poste seulement trois vieilles femmes assez bien vêtues en mantelets noires me reconduisirent à mon traîneau, en me chargeant de bénédictions à voix basse.

Les feldjäger reçoivent l’argent de poste pour 3 chevaux, et n’en payent que 2. C’est un sacrifice que font les postillons pour ne pas être trop rossés en chemin. Mon conducteur avoit donné ses bottes chaudes au Général Fon-Viesen qui n’en avoit pas. Il les remplaçoit à chaque station, en se couvrant les pieds avec la touloupe du postillon qui étoit donc obligé de faire la route sans fourrure. L’un de ces postillons ne voulut pas faire ce sacrifice malgré les menaces

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du conducteur qui dans le village n’osoit pas en venir aux coups. Mais aussi pendant tout le chemin il ne cessa de le rosser et le fit aller si vite qu’un cheval creva. Dans ce cas le Gouvernement paye 250 R. au propriétaire, mais je pense qu’une grande partie de cet argent reste entre les mains de ceux qui sont chargés de le délivrer. Les feldjäger ne reçoivent que 600 R. d’appointement par an et un habit complet. Comme ils sont continuellement en voyage, l’argent de poste pour un cheval qu’ils gardent, fait au bout de l’année une somme considérable. Ceux que j’ai vus sont en général très polis.

Nous entrâmes dans Pétersbourg le 11 à 8 heures du soir*).

A la barrière on nous donna un cosaque qui nous escorta jusqu’au logement du général de service. En entrant dans sa Chancellerie je vis le général Fon-Viesen29) qui me montra Danzass11) endormi sur une chaise. Le général Patapoff35) étoit à la forteresse; on nous pria d’attendre. Nous fîmes cher-cher à l’auberge du thé; mais au moment où nous voulions le prendre, on vint chercher Danzass. Je m’endormis un moment sur un sopha. En m’éveillant je vis le Prince Ouroussoff36), aide-de-camp du général Kisseleff, qui venoit d’amener un aide-de-camp Chichkoff37). Quelques instants après on nous ordonna de partir. Je fis mes adieux à Fon-Viesen et je suivis mon conducteur et Ouroussoff avec son prisonnier

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d’abord dans la chancellerie du commandant et ensuite dans le grand Corps de garde au Palais. Je crus que la chambre des officiers étoit celle qu’on m’avoit destinée. Je fus fâché de ne pas y voir d’autres détenus. Je m’établis sur un mauvais divan, sur lequel je croyois passer la nuit et je me disposois à allumer ma pipe, lorsque le colonel de service me dit qu’il étoit défendu de fumer et que je serais de suite transféré dans une autre chambre. Il me dit qu’on alloit enlever tous mes effets et mon argent et me conseilla de changer de linge. Je profitais de son conseil et je passais dans une petite chambre, où je mis du linge propre. Je tirais 100 R. de mon portefeuille et je les plaçais entre l’étoffé et la doublure de mon gilet, pensant que cet argent pourroit peut-être me devenir utile. Ensuite on me prit ma montre, mon argent etc. On voulut faire une liste de tout ce que contenoit mon portemanteau, mais j’obtins la grâce de le faire simplement ficeler et cacheter; l’autre opération auroit sans doute duré une heure.

Aussitôt après un officier me conduisit à travers un vestibule dans une grande chambre, éclairée par une seule chandelle. Un bas-officier me conduisit auprès d’une chaise et me dit de me mettre là et de me coucher par terre si je voulois dormir. Il me défendit de parler avec qui que cela soit. Je vis sur un divan un fort bel homme endormi, dont je n’ai pas pu savoir le nom*).

Tous les meubles de cette chambre consistoient en ce mauvais divan sans coussin, une table et une chaise. Je fus donc obligé de coucher par terre sur ma pelisse. Comme j’étois horriblement fatigué de la route, je dormis un peu. Le lendemain matin je trouvois mon compagnon d’infortune éveillé. Il paroissoit très gai; nous fîmes quelques gestes qui ne furent pas compris ni par l’un, ni par l’autre.

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Cette chambre se trouve dans le palais, au rez-de-chaussé, vis-à-vis l’Amirauté. Elle est à deux fenêtres de deux vitres chacune. Devant chaque fenêtre se trouvoit une sentinelle qui ne permettoit pas d’en approcher. Il y avoit deux sentinelles à la porte.

A midi on vint prendre mon compagnon, et je ne l’ai plus revu; j’ai seulement appris que c’étoit un colonel, probablement en retraite, car il portoit l’habit bourgeois. Resté seul je me hazardois à parler avec les sentinelles. L’une d’elle me dit que les premiers jours ceux qu’on mettoit dans cette chambre étoient obligés de rester tout le temps assis sur une chaise sans se lever.

A 2 heures on m’apporta à manger une assiette d’assez bon щи, du beuf grillé découpé en petits morceaux et deux morceaux de pain, — l’un blanc, l’autre bis. Il n’y avoit ni couteau, ni fourchette.

Toutes les fois que je voulois aller dans les latrines, deux sentinelles, — l’une devant, l’autre derrière moi m’accompagnoient le sabre nu. Vingt personnes à la fois font leur besoin dans des ouvertures pratiqués dans une longue planche. C’étoit fort plaisant et fort sale.

Enfin vers les 9 heures un feldjäger vint me prendre et me conduisit dans son traineau chez l’Empereur dans l’Hermitage. J’arrivois d’abord dans une petite antichambre, où l’on m’offrit une chaise. Plusieurs valets en habits de deuil s’entretenoient debout. Un seul habillé à la militaire s’asseyoit de temps en temps en me lançant des regards de mépris. Au bout d’une demi-heure on m’appela dans la chambre à côté où je trouvois le général Levacheff39) qui me fit entrer dans une grande salle remplie de tableaux. Il s’assit à une petite table couverte de papiers et me dit de prendre place. Il me dit:

„Vos liaisons intimes avec les plus zélés membres de la société secrète et bien plus que cela — les dépositions

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faites contre vous prouvent que vous êtes vous-même membre de cette société; ainsi je vous prie de me dire tout ce que vous savez à ce sujet.“

Je lui répondis que je n’avois jamais appartenu à aucune société secrète.

„Et pouvez-vous“, me dit-il, „soutenir une confrontation avec vos accusateurs, par exemple avec Pouchchine40), Kolochine6), Semenoff7), Kachkine12)?“

Je lui répondis que oui et lui fis la déposition suivante qu’il mit par écrit:

„L’année 1817 ou 1818 je ne m’en souviens pas précisément, le Prince Théodore Chakofskoye41) me proposa d’entrer dans une société dont je ne sais pas le nom“.

— Où se trouve actuellement ce personnage? me demanda le Général*).

„Dans ses terres — lui répondis-je: il me semble qu’il a été aide-de-camp du Général Dépréradovitch. Autant que je m’en souviens, c’étoit une société purement littéraire et nullement contraire au Gouvernement“.

— Aux lois, — dit le Général d’un air qui sembloit dire: „ce qui est contraire au gouvernement, est controire aux lois“.

„On avoit le projet de traduire en russe de bons ouvrages français et l’on pouvoit apporter aux séances des morceaux littéraires en prose ou en vers. Un des articles portoit, que les membres riches devoient donner la dizième partie de leur revenu pour secourir les membres pauvres“ (le général écrivit simplement „les pauvres“) „et payer des

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amendes chaque fois qu’ils n’apportoient pas de composition*). Cela me décida à ne pas entrer dans cette société. L’année 1820 j’ai fréquenté à Pétersbourg les loges maçonniques dans lesquelles j’ai même occupé un grade élevé, mais depuis qu’elles sont fermées je n’ai plus été dans aucune loge, et j’ignore s’il y en a depuis cette époque. Je n’ai jamais appartenu à aucune autre société secrète et je n’ai jamais eu connoissance d’aucune société pareille. Je n’ai appris l’événement du 14 Décembre que le jour de l’arrivée à Moscou du Comte Komarovsky1), par la voix publique.“ Je signai cette déposition**).

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Le général me dit d’attendre et alla avec chez l’Empereur. Je profitai de son absence pour reconnoître la salle dans laquelle je me trouvois. C’est celle où se trouve la grande pendule de Minin et Pojarsky; au milieu sont placés de grands vases en marbre et des pupitres avec des tableaux. J’entendis l’Impératrice qui parloit avec ses enfants dans la chambre à côté. Je m’approchais de la porte vitrée qui sépare cette salle de la première chambre où le Général m’avoit reçu avant de m’introduire dans la Salle et je vis Danzass52); je voulus lui parler, mais mon feldjäger m’imposa silence. Au bout d’une demi-heure le Général Levacheff39) rentra. Il me fit sortir de la salle et parla d’abord à Danzass. Ensuite, après l’avoir congédié, il s’approcha de moi et, me prenant par le bras, me dit: „Sa Majesté a ordonné de vous faire mettre à la forteresse; vous y serez interrogé et si vous prouvez votre innocence vous serez libéré dans deux ou trois jours ou un peu plus. Si vous avez besoin de quelque chose, vous pouvez vous adresser à moi, — vous pourrez m’écrire“*).

Je lui fis un salut et comme j’étois sûr d’être bientôt relâché, je ne lui demandais pas à être bien logé, je ne lui dis pas même que j’étois malade; d’ailleurs je croyois être logé très bien, au moins c’est ce que tout le monde pensoit à Moscou. En mettant ma pelisse dans l’antichambre je vis Danzass; je lui dis qu’on me conduisoit à la forteresse

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et je n’eus pas le temps d’entendre sa réponse, car nous descendîmes des escaliers différents.

Arrivé dans la rue, mon conducteur me mit dans son traîneau et nous arrivâmes devant les portes de la forteresse qui de suite s’ouvrirent avec un grand fracas pour nous donner passage.

Je fus d’abord introduit dans une jolie chambre que je crus bonnement être celle qu’on me destinoit. Je restois là pendant une bonne heure à bavarder gaîment avec mon feldjäger. Enfin on me conduisit en haut chez le commandant58). J’entrais dans son cabinet. Il sourit très gracieusement et me fit asseoir à côté de lui.

„Je viens, me dit-it, de recevoir de Sa Majesté l’ordre de Vous loger à la forteresse“59).

Il me remit entre les mains du Major de Place*) qui m’ordonna de le suivre. Il me mit à côté de lui dans son traîneau; un aide-de camp de place se mit derrière et nous partîmes. Nous entrâmes dans une cour séparée de la grande place par un mur dans lequel est percé un arc. Au fond de cette cour je distinguai un bâtiment avec une porte basse, devant laquelle nous nous arrêtâmes. Un escalier en pierre très sombre nous conduisit dans une espèce de chambre, où se trouvoient plusieurs soldats. Elle étoit eclairée par une lanterne suspendue au plafond. A gauche se trouvoit une porte qu’on ouvrit; nous entrâmes par cette porte dans une autre espèce de chambre occupée en grande partie par un énorme poële russe. Elle avoit un aspect si triste que je suppliais le Major de Place de m’en donner une autre, plus petite que j’avois remarquée en entrant à droite, vis-à-vis celle-là. Il y consentit, et me laissa avec l’aide-de-camp de place. Nous entrâmes donc dans cette petite chambre. L’aide-de-camp me

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demanda si j’avois sur moi des bijoux ou de l’argent. Je lui répondis qu’on m’avoit tout enlevé au corps de garde. Il me dit que selon la règle il devroit me déshabiller; mais il se contenta de fouiller dans toutes mes poches. Quand il arriva à celle de mon gilet et que j’entendis le froissement des 100 R. qui se trouvoient entre l’étoffe et la doublure, je fus sur le point de les lui remettre; heureusement il retira la main. Il prit ensuite note de mes gens à Moscou jusqu’à la nourrisse et la bonne de mon enfant61), — je ne sais pourquoi. Je me hasardais à lui demander s’il y avoit des prisons meilleures que la mienne. „Oui, me dit-il, y en a d’un peu meilleures, mais aussi il y en a de plus mauvaises.

— Oui, lui dis-je, les cazemattes.

„Mais vous êtes dans une cazematte“, me répondit-il.

Il fit mettre une lampe sur la fenêtre et me dit en s’en allant que si je voulois écrire à Sa Majesté ou au commandant ou enfin à qui que ce soit, je n’avois qu’à demander de l’encre, du papier et des plumes, qu’on ne refusoit cela à personne. Il me quitta. J’entendis fermer ma porte à clef et ensuite tirer une barre de fer que l’on ferma encore avec un cadenas.

J’étendis ma pelisse sur mon lit et me jettai dessus; comme depuis trois nuits je n’avois pas dormi, j’eus le bonheur de m’endormir. Je fus souvent reveillé par le bruit que faisoient les soldats dans la première chambre. Comme ils dorment une partie de la journée, ils veillent et bavardent une partie de la nuit.

Je m’éveillai à 8 heures. Je me levai et commençai à examiner mon appartement. C’étoit une chambre de 6 pas de long et de 5 pas de large. La porte d’entrée étoit pratiquée dans une cloison en poutres verticales qui me séparoit de la première chambre d’entrée; le mur à gauche étoit aussi une cloison. Vis-à-vis la porte étoit le mur extérieur en pierre avec une fenêtre donnant dans la cour et le mur à droite

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étoit simplement une voûte qui commençoit au plancher et alloit jusqu’au haut de la cloison à gauche en sorte qu’il étoit impossible de toucher à pieds joint cette voûte, car elle touchait la tête quand les pieds en étoient encore à un pas et demi. La fenêtre étoit dans un enfoncement, les vitres étoient si sales qu’on ne pouvoit rien voir distinctement à travers; derrière se trouvait une grille en fer. La voûte étoit assez humide. Quoique fort sale, cette cazematte étoit assez claire. Mon lit consistoit en quelques morceaux de bois ingénieusement unis par des plaques de fer. Le matelas de paille et le coussin reposoient sur deux planches étroites qui laissoient un vide entr’ elles et dont l’une étoit beaucoup plus épaisse que l’autre. Le drap de lit étoit comme de raison de la toile la plus grossière et très sale. Pas de chaise, mais une table qui pour ne pas tomber devoit être appuyée contre le mur. Au lieu de pot de chambre on avoit placé dans un coin une jatte en bois qui conservoit une odeur abominable. Ajoutez à cela une bouteille avec de l’eau et la lampe, — et vous aurez tous mes meubles et ustensiles.

Je n’avois fait la veille qu’un repas: j’avois très faim et je pensois à l’heure du dîner, lorsque je vis entrer un soldat qui m’apportoit du thé. J’avoue que je m’attendois si peu à en prendre, que je versai des larmes de joie. Je crus d’abord que c’étoit une galanterie du commandant, mais le soldat me dit qu’on en donnoit à tout le monde. Il paroît cependant que tous les prisonniers n’en reçoivent pas, car un jour le bas-officier de service vint me demander si on m’en donnoit. Le thé se trouve tout préparé dans une théière; on y joint 3 morceaux de sucre et un petit pain blanc que le soldat apporte sous sa redingote et qui par conséquent sont passablement sales. On me donna aussi une tasse. Je conservois la même pendant toute ma détention; n’ayant pas de verre, je m’en servois pour boire de l’eau.

Mon déjeuner achevé, je me mis à nettoyer un carreau de

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ma fenêtre et je parvins à distinguer parfaitement jusqu’à la figure des personnes qui passaient devant. Cette fenêtre, comme je l’ai déjà dit, donne dans une petite cour nommée du Laboratoire (Лабораторной Дворъ), separée de la place vis-à-vis l’Hôtel de la Monnoie par un mur percé d’un arc. Ce mur aboutit à gauche à une tour qui fait partie de l’Hôtel. A travers l’arc je distinguois une partie de cet édifice et au fond — un corps de garde. A 10 heures je reçus la visite d’un officier d’artillerie qui vint me demander des nouvelles de ma santé. Il n’est là que depuis le 14 Décembre et tout son service consiste à visiter chaque cachot le soir et le matin pour avoir des nouvelles des détenus.

Je trouvai sur ma fenêtre quelques petits morceaux de verre avec lesquels je gravais sur l’entablement:

Ba.... Zou.....
ici détenu depuis le 12 Janvier
jusqu’au ......


Vers midi je vis arriver un aide de camp de place avec un prêtre62). Je pensois qu’ils venoient chez moi, mais je ne pus deviner pourquoi. Pour prendre courage, j’avalois une tasse d’eau fraîche et je recommande à chacun d’en faire autant dans les occasions où on veut conserver sa présence d’esprit: cela calme extraordinairement. Un moment après la porte s’ouvrit et l’aide de camp de place introduisit dans ma chambre un vieux prêtre avec lequel il me laissa. Il me demanda comment je me trouvois-là? Je lui répondis qui j’étois innocent. Il me dit que comme je serais interrogé par le Comité, on l’avoit envoyé pour m’engager à ne rien cacher, ce que je lui promis. Sur ce il me quitta. Je fus assez mécontent de cette visite, en pensant que le sot étoit incapable de porter la consolation aux nouveaux détenus.

A 2 heures on m’apporta à diner; c’étoit dans une terrine une soupe avec du boeuf découpé en petits morceaux, deux

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morceaux du pain, — l’un noir, l’autre bis, et une assiette de mauvais gruau avec du beurre rance*). Je mangeai fort peu.

Dès qu’il fit sombre, on alluma ma lampe et je distinguai alors les milliers de blattes qui courroient sur les murs. Je délayai de la mèche dans de l’huile et j’en formai une couleur noire. A l’aide d’un petit morceau de bâton je dessinai mon chiffre sur l’embrasure de la fenêtre. Avec un autre morceau de bois je parvins en grattant la voûte à y faire un B et un Z. Enfin l’ennui commençoit à me gagner, quand on m’apporta encore du thé avec les mêmes accessoires que le matin. A 7 heures l’officier d’artillerie vint me faire encore une visite. A 8 heures on m’apporta à souper des щи assez bon avec un morceau de pain noir. Un moment après arriva le Major de Place qui m’ordonna de m’habiller pour aller au Comité. Je mis ma pelisse, mon bonnet et nous descendîmes l’escalier de pierre par lequel on m’avoit introduit dans ce bâtiment. J’étois fort content, car je me rappellai les paroles du général Levacheff et j’étois persuadé que je ne rentrerai plus dans mon cachot. En chemin le Major me couvrit la figure avec une espèce de voile en toile. Nous arrivâmes. Le Major me prit par la main et sans m’ôter ma grosse pelisse et mon bonnet il m’introduisit, après avoir traversé une grande chambre, dans une autre chambre très éclairée. Je pus deviner qu’on me fit passer derrière un paravent; là on m’ordonna de m’asseoir. Je n’entendis que quelques feldjägers qui parloient à côté de moi, mais je ne pus distinguer ce qu’ils disoient. J’entendis encore un bruit de tasses et je jugeai que l’on prenoit le thé. Un quart d’heure après le Major de Place vint me prendre par la main: il me fit ôter ma pelisse et

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mon bonnet et me conduisit dans une chambre très éclairée, où j’entendis un bruit d’éperons, et enfin de là dans une autre chambre. Là on m’ordonna d’ôter mon voile. Je l’ôtoi et je vis devant moi une longue table couverte de drap rouge avec quantité de chandeliers en argent avec des bougies allumées. Il y avoit trois membres seulement: le ministre Tatischeff64), le général Tchernicheff65) et le général Benkendorff66). Ce dernier que je pris d’abord pour le Grand Duc67) avant d’avoir remarqué son aiguillette, commença à m’interroger.

„Vos liaisons intimes avec Pouchchine, Kolochine, Semenoff et Kachkine, et surtout les dépositions faites contre vous, prouvent à n’en pouvoir douter que vous êtes membre de la société secrète, ainsi avouez tout franchement. Si vous avouez vous pouvez espérer d’être pardonné, l’Empereur est clément. Si vous niez, vous serez perdu pour toujours. Eh bien, avez-vous été dans cette société?“

— Mon général, je n’ai jamais été dans aucune sosiété secrète et je n’ai jamais eu connoissance d’aucune société secrète. J’ai été maçon jusqu’à l’année où les loges ont été fermées.

„Mais n’oubliez pas que la société dont je vous parle, n’est pas comme la franc-maçonnerie, il n’y a là ni signes, ni mots sacrés; si seulement vous vous êtes rencontré dans vos idées avec un des membres, vous en êtes déjà. Vous êtes jeune; je conçois que vous avez pu avoir été entrainé.“

Je répétai ma première réponse.

„Ah, vous persistez à nier. Hé bien, nous vous confronterons avec vos amis, vos accusateurs, nous verrons ce que vous direz alors; vous courez à votre perte; elle sera inévitable.“

— Je suis étonné que ceux que vous nommez, aient pu me dénoncer, c. à d. me calomnier; je les ai toujours connus pour des hommes d’honneur. Je repète encore une fois que

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je n’ai jamais eu connoissance d’aucune société secrète et n’ai jamais été membre d’aucune pareille société. Je demande à être confronté avec mes accusateurs. Il est possible que d’autres personnes m’aient nommé pour grossir le nombre des coupables. Si ces personnes persistent à prétendre que je suis membre de leur société?

„Oh, nous verrons alors qui de vous deux aura raison. Vous ne devez pas douter de l’équité du Comité. Mais je vous le répète — ce sont vos chers amis qui vous accusent. Enfin vous n’oserez pas dire que vous n’ayez jamais entendu ces messieurs parler entr’eux de leurs projets?“

— Jamais!“

„Entendez-vous, général, dit-il, en s’adressant au ministre de la guerre, il prétend qu’il n’a pas entendu leurs conversations politiques, et c’est leur ami! — Allez, voilà des questions par écrit. Réfléchissez mûrement à tout ce que je vous ai dit. L’espérance du pardon, ou une perte inévitable: choisissez. Répondez à ces questions par écrit. Vous serez confronté avec vos amis.“

Je le saluai, on me mit de nouveau le voile, et le Major de Place me reconduisit dans ma cazematte68).

Je m’y attendoi si peu que le sang me monta à la tête et je faillis me trouver mal. Une demi-heure après le Major de Place m’apporta le papier contenant les questions du Comité; il étoit conçu ainsi:

„Le Comité secret, créé par ordre de Sa Majesté a adressé au Conseiller Honoraire Zoubkoff les questions suivantes.

„Vos liaisons intimes avec les plus zélés membres de la société secrète et bien plus les dépositions faites contre vous prouvent que vous avez appartenu a cette société; ainsi sans attendre qu’on vous montre des preuves convaincantes et qu’on vous confronte avec vos accusateurs, répondez à ce qui suit:

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1° Quand avez-vous été reçu dans la société secrète et par qui?

2° Qui avez-vous reçu vous-même dans cette société?

3° Quels étoient les moyens que la société vouloit employer pour parvenir à son but?

4° Qu’est ce qui s’est passé à la grande assemblée de cette société l’année 1820 et 1821?

5° Quels sont les membres de cette société à vous connus?

6° Connoissiez-vous le projet d’agir en même temps à Pétersbourg, á Moscou et dans la 2-de armée?

7° Connoissiez-vous le projet d’attenter aux jours du défunt Empereur?

8° D’où la société tiroit-elle les fonds nécessaires à son entreprise?

9° Connoissiez-vous le projet d’agir comme on a fait le 14 Décembre en engageant les soldats à ne pas prêter serment à l’Empereur?

10° Outre des réponses à ces questions, dites tout ce que vous savez par rapport à cette société.

Le Major de Place me remit une feuille de papier, une plume et de l’encre et me pria d’écrire vite ma réponse. Je lui dis qu’elle seroit bientôt prête*). La voici:

„Je n’ai qu’une seule réponse à faire à toutes les questions qui me sont faites par le Comité secret, c’est que jamais je n’ai été dans aucune société secrète et jamais je n’ai eu connoissance d’une pareille société (ensuite je répétai ce que j’avois dit au général Levacheff au sujet de la société du Prince Chakoffskoye et des loges maçonniques).

„Quant à mes liaisons avec plusieurs membres de la société

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secrète, il est vrai que j’ai été lié avec Kolochine, Kachkine, Pouchchine et Semenoff. Je fis la connoissance de Kolochine en 1822*) et l’ai fréquenté très peu jusqu’à l’époque de son mariage69); jamais je n’ai eu avec lui de conversation politique et jamais je ne lui ai entendu dire qu’il ait appartenu à une société secrète. Je ne l’ai appris qu’après son arrestation. Nous parlions ordinairement de nos affaires, du Bureau des renseignements que nous avons établi à Moscou70) et de notre service.

J’ai fait la connoissance de Pouchchine en 1823 lorsqu’il est venu servir à Moscou. Il ne m’a jamais dit qu’il ait été dans une société secrète et jamais ne m’a confié ses projets. Quelquefois il parloit des avantages qui résulteroient de la libération des paysans et ordinairement il parlait des affaires de son tribunal71) et se plaignoit de l’imperfection de notre procédure criminelle. Je n’ai jamais remarqué qu’il s’occupat de politique et je suis persuadé qu’il a quitté Moscou sans aucune mauvaise intention, et que c’est ici qu’il aura été entraîné. Son départ ne me parut pas extraordinaire, car l’année passée il étoit allé à Pétersbourg à la même époque pour voir ses parents72). Il nous promit de revenir pour le 15 Janvier et même nous résolûmes d’aller à sa rencontre, — tant nous étions persuadés de le revoir.

Je ne connois Semenoff que depuis quelques mois; il est venu chez moi quatre fois et je ne suis jamais allé chez lui. Il paroit être un homme très éclairé, mais ses opinions me sont inconnues. Il ne m’a jamais parlé d’aucune société secrète.

Je connois Kachkine depuis 1820**). Il s’occupoit alors de la politique françoise. J’arrivois à cette époque de l’étranger, la tête remplie des beaux discours de plusieurs députés, aussi parlions nous continuellement de la Chambre des députés,

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des Jury etc. Mais bientôt je cessai de m’occuper de politique, je fus ennuyé de m’occuper des affaires d’autrui; ma fortune étoit dérangée, je devois penser aux miennes, et je fermai Delolme73), Say74) et Sismondi75). D’ailleurs, depuis mon mariage je m’occupe exclusivement d’histoire naturelle. Jamais Kachkine ne m’a parlé d’une société secrète. Après l’arrestation de Kolochine il m’a dit qu’il n’avoit jamais appartenu à cette société.

„Ordinairement nous nous réunissions chez Kolochine le soir; on commençoit à parler des affaires de tribunaux et dès que quatre personnes se trouvoient réunies, on se met-toit à jouer au wist jusqu’au souper. Comme je ne connois pas le wist, je me retirois souvent avant la fin de la partie. Quelquefois nous étions dans l’appartement de Kolochine pendant que Pouchchine recevoit chez lui ses connoissances dont plusieurs n’étoient même pas connues avec Kolochine. Semenoff ne venoit presque jamais à ces soirées: il étoit trop occupé par sa place76).

„Kachkine est connu avec Kolochine depuis fort peu de temps. J’ai appris l’événement du 14 Décembre le jour de l’arrivée du Comte Komarovsky par les bruits publics.

„Je finis par répéter que je n’ai jamais appartenu à aucune société secrète et je n’ai jamais eu connoissance d’aucune société pareille. S’il y a des personnes qui m’accusent du contraire, je supplie de me confronter avec elles. — Le Conseiller de cour Danzass peut attester la vérité de tout ce que je dis“*).

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J’avois à peine écrit cette réponse que l’officier d’artillerie vint m’apporter de la cire à cacheter et un cachet.

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En écrivant, j’avois répandu de l’huile sur mon papier: il me dit que cela ne faisoit rien; ainsi je fis un paquet dans lequel je mis la réponse et les demandes et après avoir cacheté le tout et avoir mis sur l’enveloppe: „Réponse du Conseiller Honoraire Zoubkoff“, je le donnai à l’officier.

Comme je me sentois la tête embarrassée, je priai l’officier de m’envoyer le lendemain un médecin et le suppliai d’ordonner aux soldats de ne pas faire de bruit la nuit. Il les chassa tous et ne laissa que la sentinelle. Il étoit déjà près de minuit. Le lendemain matin de nouveau du thé à 9 heures et tout de suite après — la visite de l’officier.

J’avois dans le carreau d’en haut de la fenêtre un ventilateur en fer blanc à étoile tournante. Afin que l’air passat mieux, je cassai cette étoile et m’amusai à faire avec les rayons différents dessins en les mettant les uns à côté des autres. Je résolus de les employer à marquer le nombre de jours que je serais à la forteresse. Au commencement de chaque journée j’en enfonçais un dans une fente de la cloison; il y avoit en tout 23 rayons; j’éspérois qu’ils me suffiroient. Je pensois continuellement à l’effet que produiroit ma réponse et je me décidai à envoyer encore un supplément. J’envoyai chercher du papier et le soir je remis à l’officier d’artillerie un supplément ainsi conçu.

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„Je trouve nécessaire d’ajouter à ma réponse d’hier, que quelques membres de la société secrète ont pu me regarder comme faisant partie de leur société parceque quand je suis revenu de l’étranger, je me suis occupé de politique et que mes opinions n’étoient pas aussi modérées qu’elles le sont actuellement. Mais, je le répète, depuis longtemps je ne m’occupe plus de politique. Nous ne pouvions pas ne pas être connus et liés: nous servions tous sous le même chef, nous avions tous les mêmes principes d’honneur et de probité, le même but, celui de remplir aussi bien que possible nos emplois et, grâce à Dieu, nous avons tous atteints ce but. Ces messieurs étoient si éloignés de parler politique, que plusieurs fois je leur ai reproché de ne pas causer au lieu de jouer au wist. Je n’ai jamais pensé à la libération des paysans; il n’y a pas longtemps que j’ai cherché à acheter un bien. J’avoue que lorsque j’ai appris que Pouchchine avoit été mis à la forteresse, je l’ai beaucoup plaint. J’avoue encore que lorsque nous avons appris la mort de l’Empereur Alexandre, j’ai cru aux bruits publics qui prédisaient une guerre civile.

„Je soutiens décidément que je n’ai jamais appartenu à aucune société et que jamais je ne me suis concerté avec personne pour faire des changements dans le gouvernement. Je demande une confrontation avec celui qui osera dire le contraire. Je pense que lorsque des changements sont nécessaires dans un état, ils doivent être faits par le pouvoir suprême, mais que nul autre que lui n’a le droit de les faire.

„Il est probable qu’aussitôt que j’aurai été reconnu innocent je serai libéré; mais je ne m’en contenterai pas; je prendrai la liberté de supplier Sa Majesté l’Empereur de rendre ma justification publique, afin que je puisse recouvrer l’estime de mes compatriotes, que peut-être j’ai perdu par mon emprisonnement. Je conçois que pour obtenir cette grâce,

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je dois montrer mon innocence dans tout son éclat et pour y parvenir je supplie le Comité de me confronter avec Pouchchine au sujet de l’événement du 14 et avec Kolochine au sujet de la société secrète“*).

J’envoyai cette réponse au Comité par l’officier. Je me mis à marcher et à penser au plaisir et en même temps à la douleur que j’aurai de revoir Pouchchine. J’étois fermement persuadé

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que personne ne m’avoit dénoncé, car qui de ces messieurs auroit voulu devenir un lâche calomniateur et à quel but? Je commençai à m’ennuyer horriblement; on a bientôt épuisé tous les genres de distractions quand on est en prison, sans livres, sans pipe, enfin sans aucune espèce d’occupation. La lampe répand une odeur détestable; fort heureusement on a une chandelle pour deux jours, ensorte que la lampe ne brûle que la nuit et elle doit être allumée la nuit; si elle s’éteint, la sentinelle doit la rallumer; mais ordinairement la sentinelle s’endort. J’avois partagé la mêche en filets très minces dont un seul étoit allumé, ensorte que je me débarrassai de l’odeur que produisait la grosse mêche. Rien de plus lugubre que le carillon de la grande horloge de l’église; il dure au moins 5 minutes à chaque heure! J’avois pour chauffer ma cazematte un conduit de chaleur en fer qni la traversoit en long et aboutissoit dans la chambre d’entrée à un poële en fer de fonte. Toutes les fois qu’on chauffoit il y avoit de la fumée et la chaleur étoit effroyable. Une heure après il faisoit froid à cause de l’humidité de la voûte. Je ne me déshabillai jamais pour dormir car je n’avois pas de couverture et le drap de lit étoit trop sale*).

Le jour suivant, le 14, je reçus la visite du Major de Place et d’un médecin qui promit de m’envoyer une mixture pour la bile et du salep. La Major de Place me dit en me quittant qu’il espéroit que le soir je serais libéré. Je n’en pouvois plus de joie et cependant cette nouvelle m’a fait un grand mal, car depuis ce moment toutes les fois que quelqu’ un entroit dans la grande chambre, ou qu’on ouvroit ma porte,

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je croyois qu’on venoit pour me libérer et toujours j’étois trompé. Je ne puis dire la sensation que j’éprouvois chaque fois. Lorsque les sentinelles se relevoient, la nouvelle venoit toujours examiner l’état dans lequel se trouvoit le cadenas de la porte, et je croyois que la porte alloit s’ouvrir et qu’on me relâcheroit.

Le 15 je fus presqu’au désespoir à cause de l’ennui: je crois que ma maladie entroit pour beaucoup dans ma position morale. J’allai jusqu’à me donner de la tête contre la voûte; heureusement je ne me fis pas de mal. On m’apporta du salep et ma médecine; on m’en donna une cuillerée et le bas officier la remporta en me disant qu’il étoit défendu de laisser chez moi toute la fiole, mais que toutes les 2 heures il vieudroit me l’apporter. Je ne l’ai plus revue depuis*). Le médecin m’avoit prescrit un bouillon aulieu du manger ordinaire, mais je ne pus obtenir qu’une soupe au poisson assez bonne, mais qui me fit encore plus de mal à cause de la grande quantité de poivre qu’on y avoit mis.

En regardant par la fenêtre, je reconnus dans la cour le Obergutenfervalter Daniloff78) avec lequel j’avois fait une enquête en 1823 à Moscou et qui étoit venu diner chez moi. Outre les rayons en fer blanc que je fichois dans le mur, je fis des boulettes de pain noir, avec lesquelles je marquois aussi les journées. J’en mis 30, l’une au dessous de l’autre, en les écrasant contre la cloison. J’étois decidé, si après 30 jours le Comité ne me faisait aucune réponse, à ecrire à l’Empereur et à le supplier d’ordonner de hâter mon jugement.

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J’aurois consenti alors à être fastigé, à être dégradé, pourvu qu’on me rendit la liberté. Les inventeurs de la potence et de la décapitation sont des bienfaiteurs de l’humanité; celui qui a inventé le secret est un infâme scélérat; ce n’est pas une punition corporelle, — c’est une punition morale. Ceux qui n’ont jamais été mis au secret ne peuvent pas comprendre ce que c’est. Et encore je voyois du monde dans la cour, le soir j’avois de la lumière... Dans cette même forteresse la plupart des fenêtres sont peintes avec de la croie à l’extérieur, excepté les deux carreaux duhaut. Il y a encore des sacs (мѣшки); ce sont des trous carrés qui sont si étraits et si peu profonds qu’on ne peut y rester ni debout, ni couché. Ce trou est fermé par une dalle avec un trou pour donner passage à l’air, et on n’y voit goutte. Je priois Dieu souvent et c’est la seule consolation qu’on puisse trouver. Après chaque prière j’étois beacoup plus tranquille et je puisois un nouveau courage. Je pensois encore qu’on feroit peut être chercher le Prince Théodore Chakofskoye pour lui demander s’il étoit vrai que je n’aye pas voulu entrer dans sa société; cela m’embarrassoit et je calculois qu’avant quinze jours il ne pourroit pas être arrivé. A minuit le bas-officier de service visitoit les serrures et emportoit les clefs qu’il remettoit au Major de Place. Si le feu avoit pris au bâtiment dans lequel j’étois, j’aurois été grillé avant qu’on ait eu le temps d’apporter les clefs: aussi défendis-je aux soldats de faire du feu pendant le nuit. On rapportoit les clefs à 8 heures de matin. Les soldats qui apportent les repas sont extrêmement silencieux: on ne peut en tirer une parole; une seule fois l’un d’eux m’a dit qu’à côté de la grande chambre à gauche il y avoit un corridor dans lequel il y a plusieures cazemattes pleines de monde et que dans l’une il y a 3 frères.

On ne donne ni fourchette, ni couteau, mais une cuillère de bois: la mienne n’étoit qu’une moitié de cuillère fort sale, avec laquelle j’avois toutes les peines du monde à pêcher

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le peu de viande qu’il y avoit dans la soupe. Je suis assuré que le gouvernement paye beaucoup pour l’entretien des prisonniers, mais des misérables ne manquent pas de mettre une partie de l’argent dans leurs poches. Quelquefois j’avois si faim, que je prenois un peu de pain sec chez les soldats et je le mangeois avec beaucoup d’appétit. Mon linge étoit d’une saleté affreuse; j’aurois donné mes 100 Roubles pour un peu de tabac et une pipe. Je me décidai à écrire au Général Levacheff. Je le priai d’ordonner de me restituer mon portemanteau afin que je puisse changer de linge, — chose indispensable pour un malade; d’ailleurs, lui écrivois-je, dans ce portemanteau se trouvent des poudres que je prenois encore le jour où j’ai été saisi et qui sont indispensables pour ma maladie. Quelques jours après un aide-de-camp de place me rapporta ma lettre et me montra quelques lignes écrites dessus avec un crayon par le Général: il disoit que Sa Majesté avoit permis de me faire restituer mon portemanteau. Cependant je ne l’ai eu qu’après mon élargissement. Je suis resté au cachot pendant 9 jours avec le même linge; au bout de ce temps je me suis décidé à demander du linge destiné aux prisonniers. On m’apporta une chemise et un caleçon humides que je conserve encore. On avoit oublié de m’enlever l’écritoire et la plume; le soir je m’amusai à barbouiller sur un petit morceau de papier qui étoit resté de la feuille avec laquelle j’avois fait un paquet pour la lettre du Général Levacheff, mais l’officier d’artillerie m’ôtâ tout et me dit que cela étoit défendu. J’avois réservé deux des rayons en fer blanc pour moucher ma chandelle, mais les ayant aperçu, il les emporta, craignant probablement que je ne m’en servisse pour me couper la gorge. C’étoit aussi un homme très discret; je n’ai pu jamais rien apprendre de lui: il ne vouloit même pas causer, il se contentoit de parler un peu du beau temps et de la pluie. En prenant le thé je mettois de côté chaque fois un petit morceau de sucre pour avoir de

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quoi faire passer le goût du dîner et ce sucre avec une tasse d’eau étoit délicieux. Mon lit avoit été premièrement placé contre la voûte, mais comme je craignois l’humidité, je le plaçai contre la cloison. Un invalide qui chauffoit le poële m’apporta une planche de la même épaisseur que l’une de celles sur lesquelles reposoit mon matelas ensorte que je fus un peu mieux couché.

Le 15 au soir le Major de Place vint dans la grande chambre et ordonna de nettoyer la cazematte qui étoit vis-a-vis la mienne, celle où se trouvoit le grand poële, et une autre séparée de la mienne par la cloison, contre laquelle étoit mon lit; je devinai qu’on alloit me donner des compagnons. En effet, une heure après il revint; j’entendis beaucoup de bruit, on entra dans la cazematte vis-à-vis la mienne et bientôt on tira les verroux et le Major de Place s’en alla. J’ai oublié de dire que dans la porte de chaque cachot se trouve un petit trou carré avec une vitre afin que la sentinelle puisse voir ce que fait le prisonnier. Ordinairement il y a un morceau de toile derrière ce verre ensorte que le détenu ne voit rien à travers; il n’y en avoit pas au trou de ma porte. Le prisonnier nouvellement arrivé en passant par la grande chambre avoit probablement vu de la lumière chez moi, car après quelques instants de silence il me dit d’une voix très forte et très dure: „Il faut absolument que nous nous parlions en françois“. Je lui répondis que oui et lui demandai son nom.

„Je suis, me dit-il, Jakoubowitch79), capitaine des chasseurs; je suis aux fers (et il secoua terriblement ses chaînes) et bientôt je serai décapité“.

Qu’on se figure ma terreur. Il me demanda qui j’étois. Je lui dis mon nom, il me dit qu’il ne me connoissoit pas (не разслыхалъ).

— Je consens, lui dis-je, à causer, mais ne parlons pas, — chantons!

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Et depuis nous nous sommes toujours expliqués ainsi. Comme il est un peu sourd d’oreille, j’étois obligé de crier pour me faire entendre, aussi parlai-je très peu et pour éviter toutes ses questions je lui dis que depuis longtemps avant mon départ j’étois malade et que par conséquent je ne savois pas tout ce qui s’étoit dit et fait depuis le 14. Il finit par entendre mon nom, se rappeler qu’il avoit passé une soirée avec moi chez Netchaeff80). Il m’engagea à ne rien cacher en disant que le Comité sait tout. Il prétend que c’est pour n’avoir pas tout avoué qu’on l’a mis aux fers, qu’ Alexandre Bestougeff30) l’a dénoncé comme ayant eu le projet d’assassiner le défunt Empereur. Avant son arrivée à St.-Pétersbourg il n’a appartenu, dit-il, à aucune société. Là étant allé un jour se promener avec Bestougeff et parlant du gouvernement, celui-ci lui confia qu’ils avoient une société dont le but étoit de changer la forme du gouvernement, et lui proposa d’en être. Il y consentit, et ce fut alors qu’il dit à Bestougeff en l’air à ce qu’il prétend, que depuis longtemps il vouloit assassiner l’Empereur Alexandre. Il me conta que le 13*) les conspirateurs lui ont dit que plus de 9000 hommes seroient à leurs ordres et que Troubetzkoye81) assura que toute la 2-de armée se révolteroit, qu’enfin on le pria de commander deux régiments, mais que le 14 étant venu dans ces régiments et ayant vu que les officiers ne vouloient pas lui obéir et vouloient du sang, il se retira et se rendit auprès de l’Empereur. Tout ce récit est, je crois, faux, au moins cet homme s’est conduit le 14 comme un misérable. Il m’a fait le plus grand éloge du Grand Duc Michel, disant que c’étoit lui qui d’un mauvais cachot l’avoit fait transférer dans cette cazematte. Il me dit que dans le Comité derrière un paravant que j’ai en effet remarqué se trouve un sténographe qui écrit ce que vous dites, afin de

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comparer vos paroles avec la réponse que vous envoyez par écrit.

Ses fers consistent en deux bracelets en fer unis par une barre de fer. Il dit que ces bracelets lui ont rongé la chair; je ne le crois pas, car je suis sûr qu’on les lui auroit ôtés. Un soldat lui a dit que plusieurs personnes avoient des fers aux pieds. Il prétend qu’on l’a beaucoup questionné au sujet d’une soit disante société en Georgie et m’a juré qu’il n’y en avoit pas.*) Ce qui a pu le faire penser e’est que l’année dernière, pendant qu’il se trouvoit aux eaux du Caucase, le Prince Buchna Voikonsky82) y vint aussi et l’engagea à entrer dans sa société. Ne voulant pas faire partie d’une société où se trouvoit un tel imbécile, il lui dit, pour se débarrasser de lui, qu’ils avoient une société en Georgie, et il prétend que Buchna a dit cela dans sa déposition83).

Je crois qu’il a encore quelqu’espoir de ne pas être mis à mort, car il me dit qu’il craignoit beaucoup qu’ on ne l’envoyât aux mines. Il souhaiteroit être fait soldat, afin, dit-il, de trouver la mort dans une bataille. Enfin il désireroit que l’Empereur les envoyât tous avec les soldats qui se sont révoltés au Caucase, pour s’emparer de Chiva. Quelquefois il étoit assez gai; je l’ai entendu se moucher souvent, -probablement il pleuroit. Toutes les fois que ses fers faisoient du bruit, je tressaillois. Il me pria de dire au Sénateur Kouchnikoff84) et à Denis Davidoff85) qu’il mouroit comme un vrai Russe pour sa patrie et pour sa liberté. Un jour on lui apporta l’Evangile en françois: il avoit demandé un livre à lire. Il me dit qu’il trouvoit là de grandes consolations. Quelque temps avant le 14 il faisoit l’athée ou l’étoit. Il me dit après une lecture que c’étoit l’amour propre et l’ambition

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qui l’avoient perdu, qu’il espéroit le 14 dicter des lois au Sénat avec la pointe de son sabre. Il n’étoit fâché contre le défunt Empereur que parcequ’on l’avoit chassé des gardes.

„Eh bien, dit-il, figurez vous que j’ai appris ici que l’Empereur Alexandre avoit déjà donné l’ordre de me passer de nouveau avec le rang que j’ai aux lanciers de la garde. J’aurois été capitaine aux gardes à 30 ans; mon père86) venoit de me donner 400 paysans; aimé, considéré de tout le monde, n’aurois-je pas été heureux et actuellement... je suis obligé de faire ma cour au bas-officier Gorbounoff (c’est celui qui envoie à manger), je suis dans les fers!“

Ces regrets me firent plaindre ce malheureux et en effet, comme il paroît, que c’est l’ amour propre qui l’a perdu, si au lieu d’être à l’armée il avoit été aux gardes il n’auroit pas trempé dans la conspiration. Il me dit qu’il avoit eu auprès de lui le fils de sa nourrice, qu’il aimoit beaucoup et qui lui étoit très attaché. Que le 13 au soir revenant de chez Riléeff87) où tout avoit été arrangé pour le lendemain, cet enfant se jeta en pleurant à ses pieds, et comme il lui demanda ce qu’il avoit, il lui raconta un songe qu’il venoit d’avoir eu, dans lequel il l’avoit vu tout couvert de sang, ce qui lui avoit causé tant d’effroi, qu’il s’étoit réveillé; c’étoit au moment que lui, Jakoubowitch, rentroit. Il m’a dit qu’en prison il avoit écrit une lettre à l’Empereur Nicolas dans laquelle il lui dépeignoit tous les abus qui se commettent en Russie.

Jakoubowitch m’a dit qu’on l’avoit beaucoup interrogé au sujet de Yermoloff83), que ce général lui avoit écrit plusieures lettres dans lesquelles il se moquoit des allemands, que ces lettres étoient entre les mains des membres du Comité et que c’étoit peut être une des raisons pour lesquelles on avoit tant d’acharnement contre lui. Il m’a assuré qu’on l’avoit torturé deux fois: la première fois on lui donna fort peu à manger pendant deux jours et le soir du second

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on lui apporta à manger du jambon et de la viande salée, et toute la journée suivante il n’eut pas une goutte d’eau à boire. Comme c’est un infâme fanfaron, je suis sûr que tout cela sont des mensonges. D’ailleurs le gouvernement est trop humain et trop noble pour recourir à de pareils moyens. C’est pour se rendre intéressant qu’il m’a conté cela88).

Ce n’est pas en un seul jour que Jakoubowitch m’a dit tout cela: c’est pendant tout le temps que j’ai été détenu, car nous ne nous parlions que lorsque la sentinelle étoit seule; dès que quelqu’un entroit, nous nous taisions et il y a des jours où nous ne nous sommes dit que deux ou trois phrases.

Le 17 au soir on amena un autre prisonnier qui fut placé dans la cazematte à côté de la mienne, mais il nous fut impossible de lui arracher une parole; enfin le 18 au soir il me pria en françois de demander je ne sais plus quoi à Jakoubowitch. Je lui demandai d’abord d’où il étoit, il me dit qu’il venoit de Toultchine et qu’il étoit aide-de-camp. Comme j’avois rémarqué qu’il étoit bègue, je devinai de suite que c’étoit le Prince Bariatensky89). Nous fimes les mêmes conventions avec lui que j’avois faites avec Jakoubowitch. Ce dernier perdit beaucoup à cette arrivée, car comme nous pouvions avec Bariatensky nous entendre sans crier trop fort, nous ne parlâmes plus que rarement avec lui. D’ailleurs vers les derniers jours il n’entendoit presque rien: il dit que c’étoit parceque sa blessure le faisoit souffrir.

Bariatensky me dit qu’il étoit l’ami de Pestel90), qu’il avoit été dans la société et qu’ils avoient eu un projet en l’air d’enlever le défunt Empereur. Il me dit que le Gouvernement savoit tout. Tant que je me suis trouvé là, on ne l’a pas conduit au Comité. Il s’attend à être puni fortement; il plaint beaucoup son vieux père91). Il m’a foit souvent rire par ses saillies. Je lui disois, ou plutôt je lui

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chantois que cette affaire dureroit encore longtemps et que je ne serois probablement pas élargi avant la fin... „du monde“, me répondit il. Cela me fit beaucoup rire. Je lui dis qu’on nous avoit fait passer par l’alambic avant de nous mettre ici, faisant allusions aux différents endroits où on nous avoit mis avant de nous enfermer dans la forteresse.

„Oui, me dit-il, avec cette différence que l’eau-de-vie quand elle passe par l’alambic devient plus forte et que nous, nous devenons plus faibles de jour en jour“.

Un jour il pria Jakoubowitch de lui raconter les événements du 14. Celui-ci commença à chanter, mais peu-à-peu il finit tout bonnement par parler en criant et il disoit: „Les uns crioient „Ура! Константинъ!“ Je fus obligé de l’interrompre et de le supplier de recommencer à chanter et de ne pas prononcer des mots russes. Il rit beaucoup de ma peur. Pour éviter autant que possible de dire des mots inutiles, nous réglâmes que toutes les fois qu’on n’entendrait pas la personne qui parleroit, pour la foire répéter, on donneroit deux coups avec le doigt. Pour dire oui, il falloit éternuer, pour dire non — tousser. Comme je me tenois souvent à la fenêtre, je pouvois voir arriver l’officier ou le Major de Place, d’ailleurs j’étois à côté de la porte; ainsi c’étoit moi qui imposois silence, je disois Silenzio sur l’air „Doctor Bartolo“. A l’instant tout rentroit dans le silence. Pour écarter tout soupçon, nous chantions quelquefois des airs russes*).

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Lorsqu’on chauffoit ma chambre, je ne voyois rien par la fenêtre, les vitres du dehors étant couvertes d’humidité. Je cassai un petit coin d’un carreau intérieur et à l’aide d’une plume sur laquelle j’entortillois mon mouchoir, je nettoyois la vitre extérieure, ensorte que les derniers jours je pouvois toujours voir ce qui se passoit dans la cour.

Depuis que j’avois deux voisins je m’ennuyois un peu moins: je n’étois plus absolument au secret. Nous nous parlions, il est vrai, rarement, mais au moins je sentois près de moi des êtres comme moi. La cloison qui me séparoit de Bariatensky étoit très epaisse et pas une fente pour se parler à voix basse*).

Ordinairement le matin nous nous souhaitions tous le bonjour et chaque fois qu’il s’agissoit de chauffer, comme c’étoit le même poële qui chauffoit les trois cazemattes, chacun renvoyoit l’invalide à ses compagnons pour savoir s’ils désiroient qu’on chauffât. Nous riions beaucoup de ces politesses. Le cachot de Jakoubowitch donnoit sur la Néva, mais comme le grillage est très serré, il voyoit mal. Il avoit un talent particulier pour tirer les vers du nez aux soldats. Il parloit fort souvent avec la sentinelle; mais jamais nous n’avons appris rien d’intéressant. Son manger étoit absolument le même que le nôtre. Il avoit l’habillement de la couronne, consistant en un surtout de drap et des souliers sans bas. Pour le faire aller au Comité, on lui

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avoit toujours mis son uniforme. Il s’étoit procuré un petit miroir. Il nous dit qu’il avoit une barbe énorme et que sa figure étoit effrayante.

Un jour je vis le Major de Place s’arrêter devant ma fenêtre, car la porte d’entrée du bâtiment étoit audessous d’une fenêtre à côté de la mienne. Quelques instants après il mit dans son traîneau un officier voilé. Je crus reconnoître Michel Narichkine8) et je restai plus d’une heure pour le voir revenir. Ce personnage fut ramené par un aide-de-camp de place; il ôta son voile et je vis un officier d’armée que je ne connois pas. Souvent en regardant par mon petit trou je voyois les soldats du corps de garde au fond de la place se mettre sous les armes; cela signifioit que le Major de Place passoit, en effet je le vis plusieurs fois avec des détenus voilés dans son traîneau.

Malgré la petite distraction que me causoient mes voisins, je m’ennuyois à mourir. L’attente continuelle de ma libération me minoit, pour ainsi dire. La saleté de mon linge me causoit une demangeaison qui m’empêchoit de me rendormir, si je m’éveillois pendant la nuit; d’ailleurs les soldats faisoient toujours beaucoup de tapage. Depuis quelques jours je ne voyois plus le Major de Place; je pensai que ce qu’il m’avoit dit au sujet de mon élargissement étoit simplement une phrase de consolation. Je lui écrivis pour le prier d’ordonner de me faire rendre mon linge. Il me promit que bientôt je l’aurois. Après diner nous marchions ordinairement avec Bariatensky pendant une heure. J’avois fait des boulettes avec du pain et chaque fois que j’arrivois à la fenêtre j’en jetai une dans ma tasse. Notre promenade finie je comptois les boulettes et comme nos cazemattes avoient 6 pas de long, nous savions, combien nous avions marché de verstes. Je m’endormois ordinairement à 8½ heures, tout de suite après le souper. Le temps le plus désagréable étoit le matin depuis le moment du réveil jusqu’au

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thé et l’après-dîner jusqu’à ce qu’on donnat de la lumière. Comme je croyois être relâché le soir et que le Comité se rassemble à 7 heures, depuis le thé jusqu’à ce que je fus endormi, chaque bruit me faisoit tressaillir. Je ne puis pas rendre tout le mal que me faisoit cette sensation. Je crois que la faiblesse de mes nerfs m’a fait souffrir plus que d’autres.

Le dimanche on ajoute un plat au dîner: ce sont de petits morceaux de boeuf grillé.

Le 20 un barbier vint me raser. Je crus d’abord que c’étoit un bon signe, mais il me dit que depuis 5 heures du matin il faisoit la barbe aux détenus. Bariatensky fut rasé aussi. Je ne savois pas si on avoit rasé Jakoubowitch; j’eu l’imprudence de le lui demander.

„Non, me répondit-il, on ne rase pas ceux qu’on a condamné à mort!“

Je vois que ma question lui avoit fait beaucoup de peine.

J’aurois donné bien cher pour savoir ce qui se passoit avec Danzass11); je n’étois pas sûr qu’il fût à la forteresse, je le pensois cependant, car je n’étois pas plus coupable que lui. Si j’avois su dans quelle position il se trouvoit, je me serois toujours attendu à la même chose, soit que cette position fut meilleure ou plus mauvaise que la mienne. Un jour je me hazardai de parler de lui à l’officier d’artillerie, mais il me dit qu’il étoit étonné de ma question, qu’ayant servi moi-même je devois connoître le service et que son devoir étoit non seulement de ne me donner aucunes nouvelles de qui que ce soit, mais même d’ignorer mon nom. Je ne savois trop à qui je ferois mieux d’écrire — à l’Empereur, au Grand Duc ou au Comité pour hâter mon jugement, dans tous les cas j’étois décidé à le faire, si un mois se passoit sans qu’on m’ait déclaré si j’étois reconnu coupable ou innocent*).

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Le 22 je résolus d’écrire à Moscou; je demandai du papier et j’écrivis deux lettres — à ma mère et à ma femme. Je voulus les envoyer le lendemain. J’ecrivois lentement, pour que cette occupation durât plus longtemps. Depuis 3 jours j’avois très bon appétit et j’avois fini par trouver bon jusqu’au gruyau avec le beurre rance. Comme j’avois été trompé bien des fois par l’espoir d’être libéré, les entrées dans la grande chambre et l’ouverture de la mienne ne me causoient plus le même sentiment pénible d’attente qu’autrefois.

Le 22 au soir après mon souper j’ôtai mes bottes et mon pantalon pour la nuit. Je faisois cela depuis quelques jours. Comme il m’est fort souvent arrivé le contraire de ce que je pensois, j’avoue que quelquefois, quand j’ai envie d’une chose, quand j’espère quelque chose, je me dis à moi-même le contraire en espérant qu’elle arrivera. Par exemple, quand je pensois rester 30 jours au moins à la forteresse, je me le disois à moi-même, mais j’espérois que le contraire arriveroit. C’est fort plaisant de chercher à se tromper ainsi soi-même. Ainsi quand je me déshabillois en me couchant, c’est comme si je me disois: „il est sûr qu’aujourd’hui le Major de Place ne viendra plus me libérer, car il est 8 heures et la fois qu’il m’a conduit au Comité il est venu me prendre à 7 heures; ainsi je puis me déshabiller“, et, en même temps, j’espérois que ce seroit peut-être précisément ce jour-là que je serais libéré. Le 22 je ne sais comment, je m’endormis à 10 heures et j’étois fermement persuadé que le Major de Place ne viendroit plus. A 11 heures je fus réveillé par le tapage des soldats et comme je leurs dis qu’ils me fissent le plaisir de parler un peu plus bas, ils me parlèrent très grossièrement et firent plus de bruit que jamais. Une demi-heure après je les entendis se lever avec

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précipitation et j’entendis la voix du Major de Place. Il ouvrit mon cachot et me pria de le suivre.

„Oui, lui dis-je, dans quelque cachot plus mauvais que celui-là, — et pourquoi, s’il vous plait?

— Non, me répondit-il, Vous êtes libre, venez entendre cela dans le Comité.

Vite je m’habillai et sans pouvoir dire adieu à mes compagnons, qui dormoient, je le suivis, déjà, sans voile. En entrant dans la grande salle de la maison du commandant deux aides-de-camp — celui du ministre de la guerre M-r Sabouroff93), et celui du Grand Duc-M-r Ouchakoff94) — me félicitèrent avec ma liberté. Le premier s’étoit beaucoup intéressé à mon sort. Un moment après je vis sortir du Comité, l’un après l’autre, voilés, Alexandre Bestougeff, très bien mis en uniforme, mais sans épaulettes, Pouchchine le Pionnier96) et le colonel des ponts et chaussées Batenkoff97), en épaulettes tous les deux. Le commandant58) me félicita aussi; il a l’air d’un bien digne homme; il me dit que je n’aurois pas ce soir mon attestat et qu’ainsi je devrois encore coucher à la forteresse; il m’offrit une chambre chez lui et me demanda si je voulois souper. Je lui répondis que ne m’attendant pas à être libéré j’avois eu la sottise de souper dans ma cazematte. Quelques moments après le Général Potapoff35) vint me demander des nouvelles de ma soeur98). Enfin un aide-de-camp de l’Empereur me pria d’entrer dans le Comité. Là je trouvois le Grand Duc99) debout avec les autres membres derrière lui. Son Altesse Impériale me dit que le Comité ayant reconnu que non seulement je n’avois jamais appartenu à aucune société secrète, mais que même je n’avois eu connoissance d’aucune société pareille, en avoit fait son rapport à l’Empereur, qui avoit ordonné de m’élargir. Il m’engagea à vouer ma vie au service de Sa Majesté. Je lui répondis que c’étoit mon intention. Il me dit que comme on devoit apposer à mon attestat de cachet de l’Empereur, je ne pourrois

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pas l’obtenir ce soir, mais que je l’aurois le lendemain matin, — et il ordonna de me le faire voir. Je lui fis un grand salut et m’en allois dans la chambre que le commandant m’avoit fait donner*). Là on avoit mis un drap de lit et des coussins sur un excellent divan. Enfin on eut pour moi toutes les attentions possibles. J’eus de la peine à m’endormir, tant j’étois bouleversé; je ne dormis cette nuit que deux heures. Le lendemain matin — politesse sur politesse: thé, café, déjeuner et la visite d’un aide-de-camp de place pour savoir, comment je me portois et si j’étois bien servi. J’avoue que dans ma cazematte j’étois tellement habitué à regarder tout le monde au-dessus de moi et à n’entendre que des bruits de soldats, que j’étois confus des politesses du domestique qui me servoit.

Enfin à 11 heures j’allai dans la grande salle. Là je trouvois un Comte Boulgari101) saisi à Karkoff. Il avoit la permission de sortir le jour, mais devoit coucher à l’hôpital où on l’avoit fait transférer de sa cazematte comme malade. Il m’a paru avoir tout l’air d’un mouchard. On m’assura que probablement je n’aurais mon attestat que le soir. Je suppliai le chef de la chancellerie Borovkoff102) d’ordonner de me rendre mes effets, car je pouvois sortir de la forteresse et je brûlois d’envie de me laver et de m’habiller proprement. On me donna un employer du Commissariat, avec lequel nous allâmes au Commissariat. Là il me rendit tous mes effets et mon argent sous quittance. J’y ai vu une caisse pleine de bijoux et 70000 ass. appartenant aux détenus. Il me dit qu’il y avoit plus que cela d’argent, mais qu’on l’avoit mis au

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lombard, afin qu’on ne perdit pas les intérêts. Pendant qu’il déballoit mes effets, je fumois une pipe de son tabac. Il me parut délicieux.

De là je vins prendre une chambre chez Andrieux. Pétersbourg me paroissoit magnifique. En effet j’étois là comme transporté par une magie: j’étois entré de nuit et pendant 13 jours je n’avois vu que des prisons.

Je ne parlerai pas du plaisir que j’eus à revoir toutes mes anciennes connoissances et je fus bien sensible à l’intérêt que tous mes amis m’avoient témoigné pendant mon emprisonnement.

Samedi soir j’allois à la forteresse, où on me donna mon attestat*). Je me reposai le dimanche et je trouvai une occasion pour Moscou: un M-r Jakovieff partoit le surlendemain et consentoit à me prendre.

Dimanche soir j’allai chez M-me Apraxin103) où je passai la soirée avec ma belle soeur Sophie104) et mon excellent beau frère105) qui m’a bien prouvé, combien il m’aime. Il me dit que le Prince Tcherkasky106) étoit amené; je l’avois entendu dire à dîner par Tutcheff107). Je me souvins de la mystification que nous lui avions faite à Moscou au sujet d’une soit disante conspiration parmil aquelle nous plaçâmes Ermoloff83), Alexis Orloff108), le Prince Menchikoff109) et le Général Saratchinsky110); je me souvins aussi de sa poltronerie et en général de son moral. Je me montai la tête et

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revenu à la maison je m’endormis avec la certitude presque d’être de nouveau arrêté.

Le lendemain matin je me lavois la figure quand un maître de police entra chez moi pour me prier de passer chez le Général-Gouverneur. Je ne doutois plus que ce ne fut pour m’arrêter encore. Je m’habillai à la hâte et nous allâmes chez le Général Koutousoff111). Il me reçut tout de suite et me prit mon attestat, en me disant qu’on avoit omis quelquechose et que dès qu’on l’auroit corrigé on me le rendroit. Il me demanda quand et comment je comptois partir. Je lui répondis que je voulois partir le lendemain par une occasion.

„Je pense, me dit-il, que vous ne voudrez pas partir sans votre attestat, ainsi attendez encore quelques jours“.

Je m’en retournai chez moi fort peu content. Un moment après arriva mon frère105) qui savoit qu’on m’avoit fait chercher, car le maître de Police étoit venu la nuit chez lui, croyant que nous logions ensemble. J’étois fermement persuadé que c’étoit la sottise et la crédulité du nouvel arrivé qui me procuroient ce nouveau désagrément. Je résolus sans attendre qu’on me mit à la forteresse d’aller dire tout au Général Levacheff39). Je pris le traîneau de mon frère et j’arrivai chez le Général. Je me fis annoncer. Je ne puis exprimer dans quelle inquiétude je me trouvois. Enfin au bout d’une heure le Général sortit et s’approcha de moi. Je le priai de m’accorder un moment d’audience particulière. Il me fit de suite entrer dans sa bibliothèque; là je lui dis que j’avois une déposition à faire; alors il me conduisit dans son cabinet, s’assit et me fit asseoir à vis-à-vis de lui. Je lui dis comment on m’avoit repris mon attestat et j’ajoutai qu’ayant appris l’arrivée du Prince Tcherkasky106), c’étoit à sa déposition que j’attribuois le désagrément qui m’arrivoit. Je lui dis que Tcherkasky avoit été toujours le plastron de notre société et que je lui avois persuadé un jour pour me

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moquer ensuite de lui qu’il y avoit une conspiration; je me suis même permis de nommer parmi les conspirateurs des personnes dont le dévouement à l’Empereur est connu. Je voulois continuer quand le Général qui pendant tout ce temps paroissoit, pour ainsi dire, ne pas vouloir m’écouter, me dit enfin:

„Mon cher Monsieur, je veux bien croire à tout ce que vous me dites, mais le Prince Tcherkasky n’a pas parlé de cela et ce n’est pas à cause de lui qu’on vous a repris votre attestat. C’est le Prince Obolensky112), qui vient de faire une déposition supplémentaire dans laquelle il dit que la société se partageoit en plusieurs classes, que vous avez appartenu à l’une de ces classes, celle dont faisoient partie beaucoup de gens mariés, dont le but étoit de travailler à propager les lumières. Quoique cette classe ne soit pas aussi blamâble que les autres, mais y étant vous avez dû avoir connoissance des autres et par conséquent de toute la société“.

Je lui demandai si on me mettroit encore à la forteresse; il me répondit qu’il ne le savoit pas et m’engagea à ne pas parler de cette nouvelle aventure.

J’allai de suite chez M-me Apraxine103), occupé de la sottise que je venois d’avoir eue de parler de Tcherkasky. Je ne doutois plus qu’outre l’accusation d’Obolensky j’aurois encore à me laver de celle de Tcherkasky qui probablement alloit être questionné sur ce que j’avois dit au Général. Heureusement M-me Apraxine m’apprit qu’on venoit de recevoir de Iermoloff le rapport qui constatoit que lui et son corps avoient prêtés serment à l’Empereur. Je pensai qu’il me seroit bien facile de faire comprendre que ce que j’avois dit à Tcherkasky étoit une mystification.

Je revins dîner à la maison. Là nous restâmes avec mon beau-frère, les coudes appuyés sur une table depuis 3 heures jusqu’à 1 heure du matin, moi — me retournant toutes les fois qu’on ouvroit ma porte ou courant à la fenêtre dès

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qu’un traîneau s’arrêtoit à la porte, car je m’attendois continuellement à voir entrer un feldjäger qui me conduiroit à la forteresse. J’étois si persuadé que j’y serais mis que je fis avec mon beau-frère mes arrangements pour avoir à la forteresse quelques livres, une pipe et du tabac. Je dormis la nuit assez mal. Enfin je fus dans cette inquiétude mortelle pendant trois jours. Au bout de ce temps un officier de Police vint me prier de me rendre de suite chez le Général-Gouverneur. Je ne savois trop à quoi m’attendre. Je fus reçu de suite. Le Général Koutousoff me rendit mon attestat en disant qu’on avoit changé d’idée et qu’on ne vouloit plus rien y ajouter; il me permit de partir.

Depuis j’ai apris qu’Obolensky n’ayant pas prouvé son accusation, on n’avoit pas voulu m’arrêter plus longtemps.

Quoique je suis enfin tout-à-fait libre, je ne suis pas sans inquiétude, car qui me répond qu’une dénonciation aussi fausse que celle d’Obolensky ne soit la cause d’une troisième arrestation. Chat echaudé craint eau froide.

Il faut s’être trouvé dans la même position que moi pour concevoir ce que c’est que 12 jours de cachot; à toute autre personne mes doléances paraîtroient ridicules. J’ai envie de faire la relation de tout ce qui s’est passé depuis la mort de l’Empereur jusqu’à la fin du procès; j’attendrai pour cela cette fin.

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C’est pour vous, mes chers enfants, que j’ai fait ce récit. Votre bonne mère et bonne grand-maman113) l’on lu. Lisez le, plaignez les malheureux dont les idées fausses et exaltées ont causé la perte. Votre père a été entièrement innocent, quoi qu’on en dise dans le monde. Il a souffert uniquement à cause de ses liaisons avec quelquesunes des personnes compromises.

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Сноски

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*) On croyoit alors fermement à Moscou que toutes les personnes qu’on amenoit à Pétersbourg étoient mises au corps de garde et non à la forteresse et je croyais revoir peut être Kolochine, Semenoff, Kachkine et je ne pensais pas sans plaisir à passer quelque temps avec eux dans le même endroit.

**) J’ai appris qu’après mon départ les parents de la femme de Tcherk. lui avoient reproché d’avoir fait cette imprudence, mais il leurs objecta, que m’ayant donné sa pelisse quand je n’étois pas encore reconnu coupable, cela ne pouvoit point le compromettre; qu’au contraire, s’il étoit arrêté et si on lui demandoit, comment il osoit me donner sa pelisse, cela prouveroit qu’il me croyait innocent et que par conséquent il n’avoit jamais compris avec moi!!! Car enfin s’il m’avoit connu pour conspirateur, il ne m’auroit pas donné sa pelisse.

Сноски к стр. 119

*) Le Prince Dmitri19 ) a eu une conduite bien belle dans ces malheureux temps. Il avoit fait acheter plusieures pelisses et des bottes chaudes qu’il donnoit à ceux qui n’en avoient point lorsqu’on les amenoit chez lui. Il a donné à Семеновъ20) 500 Roub. Si nous avions eu un autre Général-Gouverneur, il est probable que les arrestations se seroient faites avec moins d’humanité. Cependant Обресковъ21) et Ravinsky22) se sont oubliés quelquefois, comme, par exemple, avec Семеновъ et Зыловъ23).

Сноски к стр. 120

*) A une station Mouchanoff me croyant probablement de la société me dit qu’il ne falloit rien avouer. A une autre il nous dit qu’Alexandre Bestougeff30 ) avoit dit à l’Empereur: „ce qui est semé, produira“. Fon-Viesen lui tourna le dos, et Mouchanoff, en souriant, me dit: „Voyez, ce coquin de Fon-Viesen qui se retourne et fait semblant de ne rien savoir!“

Сноски к стр. 122

*) Je n’ai pas besoin de dire que je n’ai pas fait mon voyage très commodément. A chaque poste j’obtenois, il est vrai, un traîneau couvert; mais ordinairement l’ouverture en étoit si étroite et si basse, que nous ne pouvions pas rester couchés tous les deux, et mon conducteur se tenoit debout; cela m’incommodoit beaucoup. Quand le kibitka lui permettoit de se coucher à côté de moi,-autre désagrément: il puoit horriblement l’eau de vie et j’étois obligé de respirer dans cette atmosphère spiritueuse. Pour éviter cette odeur je finis par prendre un traîneau découvert. — Danzass avoit un bon kibitka du Prince Galitzine14 ), Fon-Visen étoit en traîneau découvert. Pendant les deux nuits que j’ai été en route, j’ai à peine dormi 2 heures. En passant par la Гороховая, je vis de la lumière chez Andrieux.34).

Сноски к стр. 123

*) Потомъ приписано: „Podgio cadet.“38 ).

Сноски к стр. 125

*) Cette question me fit beaucoup de peine: elle me prouva que Chakofskoye n’étoit pas pris; je pensais que grâce à moi on alloit le faire chercher. Il a été aide-de-camp du général Paskévitch42 ) et non de Dépréradovitch43). A Moscou j’avois entendu dire positivement qu’il avoit été pris. Depuis que ce mémoire a été écrit j’ai appris qu’en effet le Prince Chakofskoye avoit été pris avant moi.

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*) Далѣе зачеркнуто: „Depuis l’année 1817 je n’ai plus entendu parler de cette société“.

**) Здѣсь находится слѣдующая, написанная на лѣвой сторонѣ тетради,

Note sur les portraits.

Quelques mois avant la mort de l’Empereur Alexandre je proposais à tous mes amis de faire lithographier nos portraits afin que chacun put avoir ceux de tous; nous pensions qu’il seroit curieux et agréable de les posséder, surtout après quelques années, lorsque la position de chacun seroit changée. Ma proposition fut acceptée et M-r Sobolevsky44) fit un très joli groupe au crayon; je proposai de l’envoyer lithographier à Paris, mais comme vers l’époque où ce dessin fut achevé Pouchchine45) se disposoit à partir pour Pétersbourg, nous nous décidàmes à le lui confier pour le faire lithographier dans cette ville. Le groupe étoit composé de Pouchchine, Kolochine6), Bacounine46), Paltchikoff47), Danzass11), Gorstkine48), Tcherkasky49) et moi. Quand il fut achevé, on le mit sous verre et comme il avoit le mérite de la ressemblance et d’une jolie composition, on le montra à toutes les personnes qui voulurentle voir et entr’autres au Général-Gouverneur50). Enfin comme ces portraits avoient été faits sans aucune arrière-pensée, on n’en avoit fait aucun mystère. Pouchchine les emporta à Pétersbourg. Après l’événement du 14 Décembre on commença à dire à Moscou que ce dessin représentoit les membres de la conspiration, qu’il y avoit dans le ciel une étoile avec autant de rayons que la société renfermoit de membres, qu’enfin autour de l’étoile il y avoit écrit „Les amis réunis.“ — Lorsqu’on commença à nous enlever, à Moscou ces bavardages devinrent encore plus forts51). A Pétersbourg même quand j’ai été relâché on m’en a parlé, surtout de l’inscription. Le fait est que le Comité d’enquête n’a pas eu connoissance de ce dessin, ou au moins n’en a pas parlé. Et, en effet, quoi de plus bête que tous ces bavardages! Après mon arrestation on a dit à Moscou que j’étois représenté dans ce dessin avec une étoile sur le front; que je m’occupais d’enthomologie uniquement pour masquer mes autres occupations qui consistoient à composer tous les papiers nécessaires à la conspiration, que j’étois représenté faisant prêter serment à mes amis, que lorsque j’avois été amené devant l’Empereur, on m’avoit deshabillé, que j’avois pâli et qu’on m’avoit trouvé une marque sur le corps!!!!!

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*) Je ne conçois pas paurquoi je fus mis à la forteresse sur un soupçon très vague, comme on verra par la suite. Toutchkoff53 ), ainsi que je l’ai appris ensuite, a été mis à l’Etat-Major dans un appartement composé de 3 chambres avec le général Calm54), N. Voeïkoff55) et M-r Liprandi56). Ils étoient très commodément et très proprement logés et faisoient chercher leur diner chez A. Voeikoff57); le soir ils jouaient au boston. Cependant Toutchkoff a avoué qu’il avoit été de la Société de 1817.

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*) Егоръ Михайловичъ Подушкинъ60 ); il paraît que c’est un bien brave homme.

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*) Danzasse outre cela a eu tous les jours du boeuf grillé. Tous les mets sont fort mal accommodés, mais comme on voit le gouvernement a l’intention de très bien nourrir les prisonniers et je suis sûr que l’entretien coûte beaucoup, mais je pense qu’une partie de l’argent passe dans les poches des fournisseurs63 ).

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*) J’écrivis tout ce qui me passa par la tête. Il y eut plusieurs râtures, mais j’eus soins de les faire en sorte qu’on put lire ce qui avoit été écrit. Ces réponses n’ont aucune suite, au moins elles n’ont pas été préparées.

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*) Въ подл. показ. (л. 4 об.) прибавлено: въ Москвѣ

**) Въ подл. показ. (л. 40 б.): съ 1821 г.

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*) При настоящемъ дневникѣ имѣется черновикъ отвѣта Зубкова Комитету, на русскомъ языкѣ, писанный въ крѣпости; вотъ онъ:

„На всѣ заданные мнѣ Тайнымъ Комитетомъ вопросные пункты имѣю честь объяснить слѣдующее. Я никогда ни въ какомъ тайномъ обществѣ не былъ и о существованіи такихъ обществъ извѣстенъ не былъ. Въ 1817 году Князь Ѳ. Шаховской, бывшій адъютантъ генерала Депрерадовича, а тогда служившій въ армейскомъ полку, предложилъ мнѣ вступить въ какое-то общество, коего названіе мнѣ неизвѣстно; но оно, вѣроятно, было литературное, по крайней мѣрѣ въ постановленіи не было ничего законопротивнаго Члены обязаны были взносить 1/10 часть доходовъ, платить штрафы всякой разъ, когда не приносили какого-нибудь сочиненія или перевода. Сіи причины и отчасти лѣнь побудили меня отказаться отъ вступленія въ это общество. Главное упражненіе членовъ состояло въ переводѣ хорошихъ историческихъ книгъ и въ сочиненіяхъ въ стихахъ и прозѣ. Вотъ все, что я могу припомнить объ этомъ обществѣ, которое и тогда сдѣлало на меня весьма малое впечатлѣніе. Въ 1820 году я находился въ Масонскихъ ложахъ до самаго ихъ закрытія.

Насчетъ моихъ связей съ Колошинымъ, Пущинымъ, Семеновымъ и Кашкинымъ имѣю честь объяснить слѣдующее. Я познакомился съ Колошинымъ въ 1822 году, а подружился съ нимъ уже послѣ его женидьбы, никогда не имѣлъ съ нимъ политическаго разговора и никогда не слышалъ отъ него о тайномъ обществѣ и чтобъ былъ членомъ сего общества. Я узналъ объ этомъ послѣ его ареста. Я обыкновенно съ нимъ говорилъ объ устройствѣ нашихъ дѣлъ, о заведенной нами Справочной Конторѣ и о судебныхъ дѣлахъ. Съ Пущинымъ я познакомился по пріѣздѣ его въ Москву. Хотя отъ него тоже не слыхалъ никогда о тайномъ обществѣ и о томъ, что онъ членъ онаго, но помню, что онъ иногда говорилъ о пользѣ, могущей произойти отъ освобожденія крестьянъ, а болѣе слыхалъ отъ него жалобы на наше судопроизводство. Я всегда его зналъ за человѣка веселаго и привыкъ слышать отъ него однѣ шутки, такъ что мнѣ обыкновенно бывало смѣшно, когда онъ говорилъ о какихъ-нибудь важныхъ предметахъ. Я увѣренъ, что онъ выѣхалъ изъ Москвы безъ всякой дурной цѣли, но что его здѣсь завели. Отъѣздъ его мнѣ совсѣмъ не показался удивительнымъ, потому что онъ всякой годъ въ это же время уѣзжалъ въ Петербургъ для свиданія съ родственниками. Мы всѣ ожидали его возвращенія, по его словамъ, къ 15 Января и собирались ѣхать къ нему на встрѣчу. — Съ Семеновымъ я знакомъ только нѣсколько мѣсяцевъ, онъ у меня былъ раза 4, а я у него — ни разу. Кажется, онъ человѣкъ образованный, но, впрочемъ, его мыслей не знаю. Отъ него тоже о тайномъ обществѣ ничего не слыхалъ. Съ Кашкинымъ я знакомъ съ 1820 года. Онъ тогда еще занимался французскою политикою. По пріѣздѣ моемъ изъ-за границы, мы весьма часто говорили о французскомъ правленіи, о депутатахъ и проч. Но мнѣ скоро наскучило заниматься чужими дѣлами, я закрылъ Сея и Сисмонди и совершенно пересталъ заниматься политикою. Съ тѣхъ поръ почти единственное мое занятіе было — Естественная Исторія. Съ Кашкинымъ я часто говорилъ о улучшеніяхъ въ судопроизводствѣ, объ адвокатахъ, о присяжныхъ и проч., но о тайномъ обществѣ отъ него ничего не слыхалъ; послѣ взятія Колошина онъ мнѣ говорилъ, что никогда ни въ какомъ обществѣ не былъ.

Мы обыкновенно съѣзжались всѣ у Колошина по вечерамъ, сперва говорили о своихъ дѣлахъ и курили трубки, но, какъ скоро съѣдутся 4 человѣка, то сейчасъ сядутъ играть въ вистъ; я въ вистъ не играю, а потому очень часто, не дожидаясь ужина, уѣзжалъ домой. Пущинъ иногда въ это время принималъ у себя своихъ знакомыхъ, которые, сколько я могъ замѣтить, къ Колошину никогда не ходили. Семеновъ почти никогда не бывалъ на этихъ вечерахъ: онъ всегда занимался службою. Кашкинъ познакомился съ Колошинымъ очень недавно. О происшествіи 14 Декабря я узналъ въ залѣ Благороднаго Собранія по городскимъ слухамъ, въ день выборовъ, послѣ пріѣзда генералъ-адъютанта.

Имѣю честь повторить, что я никогда ни въ какомъ тайномъ обществѣ членомъ не былъ, ни о существованіи такого общества извѣстенъ не былъ. Буде есть противу меня показанія, то прошу дать мнѣ съ моими обвинителями очныя ставки. Во всемъ вышеписанномъ ссылаюсь на находящагося здѣсь надв. сов. Данзаса.

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*) Вотъ черновикъ этого показанія по-русски:

„Въ дополненіе къ посланному мною вчерашняго числа отвѣту, имѣю честь объяснить слѣдующее. Члены тайнаго общества могли считать на меня потому, что, по пріѣздѣ моемъ изъ-за границы, я занимался политикою и восхищался французскими постановленіями и краснорѣчіемъ французскихъ депутатовъ; но повторяю, что со времени моей женидьбы я пересталъ заниматься политикою. Мы всѣ служили подъ начальствомъ Князя Голицына, занимая всѣ ровныя мѣста, имѣли одну цѣль быть честными и со всевозможной дѣятельностью исполнить нашу должность и въ этомъ смыслѣ успѣли. Главными нашими разговорами были наши судебныя дѣла. Столь постоянно по вечерамъ играли въ вистъ, что я даже, помню, у себя запретилъ игру въ карты, утверждая, что люди образованные могутъ найти другое занятіе. На всѣхъ ссылаюсь въ томъ, что я никогда не желалъ освобожденія крестьянъ: доказательствомъ къ тому можетъ служить то, что я еще недавно искалъ случая купить имѣніе [„и даже торговалъ деревню генерала Чичерина“ — подл. показ., л. 6 об.]. Признаюсь, что я очень жалѣлъ о Пущинѣ, когда узналъ, что онъ посаженъ въ крѣпость. Я вѣрилъ глупымъ слухамъ о могущей произойти междоусобной войнѣ послѣ кончины Императора Александра Павловича. Рѣшительно повторяю, что я никогда ни въ какомъ тайномъ обществѣ не былъ, о существованіи тайнаго общества никогда извѣстенъ не былъ и никогда ни съ кѣмъ не сговаривался перемѣнить образъ правленія въ Россіи. Пускай найдется человѣкъ, который покажетъ противное. Я полагаю, что ежли какія перемѣны могутъ быть полезны въ государствѣ, то ихъ должно ожидать отъ Верховной Власти, но что никто, кромѣ нея, не въ правѣ ихъ дѣлать.

За моимъ оправданіемъ послѣдуетъ, вѣроятно, мое освобожденіе, но этого для меня не достаточно: я осмѣлюсь всеподданѣйше просить Государя Императора о томъ, чтобы сдѣлать мое оправданіе гласнымъ, дабы возвратить мнѣ уваженіе моихъ соотечественниковъ, моимъ заключеніѣмъ, можетъ быть, потерянное. Я чувствую, что, дабы сдѣлаться достойнымъ такой милости, я долженъ совершенно быть оправденъ, а для сего вижу одно средство — очныя ставки, почему осмѣливаюсь настоятельно просить Тайный Комитетъ дать мнѣ очныя ставки съ Пущинымъ и Колошинымъ“.

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*) Outre les habits que j’avois sur moi, j’avois la pelisse d’ours de Tcherkasky et mes bottes chaudes. J’étendois la pelisse sur le lit et je dormois dessus, en faisant avec mes bottes chaudes et mon bonnet une espèce de coussin. J’avois deux mouchoirs de poche, qui au bout de 4 jours devinrent si sales que je fus ensuite obligé de me moucher avec les doigts.

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*) Si j’étois tombé malade plus sérieusement, j’aurais été transféré dans un hôpital. J’ai vu Fournier77 ) qui y a été et qui en fait le plus grand éloge. J’ai appris depuis que M. Fon Viesen avoit fait deux maladies au cachôt. Cela peut-il être vrai? je le demande. — Le Major de Place, voyant ma prison remplie de fumée ordonna de laisser pendant quelque temps la porte ouverte. C’est une drôle de sensation que celle qu’on éprouve dans une prison dont la porte est ouverte et dont on ne peut cependant pas sortir.

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*) т. е. наканунѣ возстанія. Б. М.

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*) Le compagnon d’infortune qu’on nous donna, comme on le verra, quelques jours après, m’a dit qu’il savoit qu’il existoit une société au Caucase. Voilà comme ces messieurs étoient au point de tout! Impayable!!

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*) Je n’ai parlé de ma conversation avec ces messieurs qu’à.... qui a eu l’imprudence de le raconter je ne sais à qui, ensorte que plusieurs personnes l’ont su à Pétersbourg. Heureusement cela ne s’est pas trop répandu et à l’arrivée du corps du défunt Empereur on n’en a plus parlé. On m’a cependant rapporté que quelqu’un avoit dit qu’il n’étoit pas étonnant que j’aie été si tôt libéré, qu’on m’avoit exprès mis à côté de ces messieurs pour leur tirer les vers du nez et que grâce au role d’espion que j’avois joué j’avois recouvré ma liberté!!

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*) Nous essayâmes pourtant de nous parler en appliquant nos bouches contre la cloison et nous pouvions nous entendre en parlant à voix basse. Cependant comme nous craignions d’être entendus par la sentinelle nous renonçâmes à ce procédé et continuâmes à chanter. A force de regarder nous nous aperçûmes que le mur de pierre n’adhéroit pas parfaitement à la cloison, mais cette fente n’avoit pas plus d’une ligne de large. Bariatensky essaya vainement de me passer par cette fente la lettre de son père et une lettre qu’il venoit d’écrire à Levacheff; comme il avoit plié le papier par la diagonale et que je n’en vis pas le bout quoiqu’il le glissa en entier, nous jugeâmes que la cloison étoit très épaisse.

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*) Le cinquième jour de ma détention je suppliai un invalide qui chauffoit notre poële et qui venoit le matin balayer ma cazematte de me procurer un peu de savon. Je lui promis de le récompenser, quand je serois liberé; il m’apporta un petit morceau de savon et j’eus le plaisir de me décrasser. Je n’ai plus revu ce brave homme.

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*) Voilà exactement tout ce qui s’est passé entre nous deux. Eh bien Monseigneur a dit au Prince Dmitri100 ) qu’il avoit été fort mécontent de moi, que j’avois reçu mon attestat avec un air impertinent et que j’avois parlé avec ironie et que j’avois paru plaisanter là-dessus! Cela a été dit 3 mois après. Je suis bien malheureux d’avoir eu des ennemis qui m’ont ainsi calomnié auprès de Monseigneur. Je jure que je ne pensois en ce moment comme actuellement qu’à continuer à servir Sa Majésté.

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*) Къ дневнику Зубковъ приложилъ переводъ этого документа:

„Attestat. Par ordre de Sa Majesté l’Empereur le Comité chargé de découvrir la Société malintentionnée certifie que le Conseiller de la Chambre civile de Moscou Conseiller Honoraire Zoubkoff ainsi qu’il a été constaté par l’enquête non seulement n’a pas été membre de cette société, mais n’en a pas même eu connoissance. St. Pétersbourg 22 Janvier 1826. № 174. “ Далѣе — подписи военнаго министра Татищева, генералъ-фельдцейхмейстера Михаила, князя Александра Голицина, генералъ-адъютантовъ Голенищева-Кутузова, Бенкендорфа, Левашова и Потапова и начальника Канцеляріи Боровкова.