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Симону Ивановичу Мазаровичу.

Rapport à Monsieur le Chiargé d'Affaires de Russie en Perse.

На донесении рукою С. И. Мазаровича пометка: "Reçue le 18 Septembre 1819".

Monsieur

Je nesais, si Vous avez reçu mes deux Rapports: № 1 et № 3, ne me refusez pas de m'en instruire par le premier Tcheper que Vous enverrez à Tiflis; pour que je puisse un jour récapituler mes griefs contre la manière, dont on a procédé avec moi. En attendant le Mehmendar a l'impudence de me demander un papier pour Vous le remettre. Après toutes les avanies, que j'en ai enduré, il voudrait un certificat, et je ne m'y refuse pas. Monsieur, j'ai donc l'honneur de certifier à vous, mon Chef, que mon Mehmendar Mahmad Beg a rempli sa chiarge près de moi en coquin, le plus fieffé, auquel j'aie jamais eu á faire, malhonnète homme dans la plus vaste signification du terme, et le ministère de Tabriz s'il veut en quelque sorte se disculpe de me l'avoir apporté, doit au moins lui faire appliquer sur les plantes des pieds la correction, qu'on est dans le pays si prodigue à donner, et si habitué à recevoir. Oui, j'ai sérieusement à me plaindre de lui, comme de plusieurs autres officiers Persans depuis Tabriz. Mais pas une âme vivante ici ne saurait former des plaintes contre moi, à moins de les forger. Si j'ai répondu avec fiel aux bêtises, que m'envoyait dire Kelbel Khan à Nahetchivan, ce n'était toujours, que très délicat en revanche de ses grossiéretés, si j'ai quelquefois amèrement apostrophé le Mehmendar, ce n'étaient pas encore des coups de bâton, qu'il a cent fois mérité. Mais on nous jettait des pierres et je cachai sous un silence étudié vis-à-vis de mes propres gens la rage, qui me suffoquait, et ils se tenaient tranquilles. Nous passions en plein midi près des bostans immenses,

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toujours dévastés par la soldatesque du Prince, au nom duquel on commet ici les extorsions et rapines en tout genre, mais personne des miens n'a osé cueillir un melon sans le payer, ou sans que je le fisse pour eux, à quoi je me prêtais vo lontièrs et souvent, car refuser au piéton fatigué le fruit, qui désaltère, par la saison actuelle, aurait été d'une avarice sordide, peu faite pour encourager les gens à me suivre. Enfin, Monsieur, j'ai constamment eu présentes à ma pensée Votre fermeté, comme Votre modération à la cour du Schah, et à celle du Naib-Soultan. Et moi aussi j'ai eu assez bonne contenance, l'on ne m'a pas joué, mais piqué, comme j'étais, je ne me suis pas laissé aller au delà de ce qui est préscrit par la saine raison, je n'ai offensé personne. Et si on Vous le rapportait différemment, ce ne serait que fausseté, j'ose Vous en répondre de mon honneur.

Maintenant pour Vous tenir au courant de ce qui m'arrive, je Vous entretiendrai de Nahetchivan. On m'y a cloué, pour ainsi dire, deux mortels jours. Le premier vers le soir on apporta quelques vivres, on ne donna rien le lendemain, on me refusa le chevaux, on défendit sévérement aux Tchervadars de m'en fournir pour de l'argent. Le Mehmendar me protéstait que tout ce brouillamini provenait du Khan, le Khan objectait, que le therme du Fermandéchu à Nahetchivan, il ne se souciait pas de moi, que même nous n'avions aucune protection légale dans sa ville, et indirectement on me faisait avertir, que je pourrai très bien être mis aux arréts jusqu'à nouvel Ordre de Tabriz. A mon arrivée Kelbel Khan refusa de me voir, s'excusant sur sou harem, où il était four ré pour le moment. Il m'assigna une entrevue pour le lendemain, je fus une heure et demie chez lui à l'attendre, sans qu'il parût, et enfin il me fit congédier pour des raisons trop oiseuses, pour que je les répéte ici. C'est pourtant de ce grossier personnage, que vous disiez du bien, Monsieur. Je ne sais au fond ce que les Persans conspiraient, mais voilà ce que je fis. Le premier jour mes gens ce sont jettés sur la liqueur forte, que les Arméniens apprêtent, j'avais trop de

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besogne pour songer à les empêcher, mais le soir ayant en avis, qu'on éparpillait mon monde à dessein, pour les enivrer, leur faire tenir quelques tomans, et me les enlever ensuite, je les ai rassemblés tous autour de moi, j'ai mis bonne garde autour de mon logement, la nuit je me suis levé en sursaut, j'ai passé en revue tous, tant qu'ils étaient, je fis lier quelques uns pour un peu de bruit, qu'ils avaient fait entre eux, me montrant plus fâché, que je ne l'étais, je les ai morigéné vertement, menaçant pour le lendemain d'une sévérité exemplaire ceux, qui prendraient une goutte d'eau de vie ou feraient les mutins, et de les livrer ensuite garrotés au Gouvernement Persan, dont ils connaissaient les dispositions favorables à leur égard, je leur fis entendre, qu'eux avaient besoin de moi, mais que je n'avais proprement aucun intérêt majeur, et nulle responsabilité pour leur consérvation. Cela ressemblait beaucoup à un discours de Bonaparte aux députés de Province en 1814. Néanmoins cette Napoléonade a mis tout le monde à la raison. Tout fut calme, personne le lendemain ne s'avisa de me demander à le laisser au Bazar, on ne but point. Comme les chemins d'ici au Karabagh sont réputés très peu surs sous tous les rapports, et que je ne m'attendais pas à un convoi de sureté de la part du Gouvernement, j'ai fait vite monter en fer une cinquantaine de lances, que je distribuai à ma bande. Mauvaise arme, mais pouvant servir de défense contre un Aboul-Feth-Khan, ou ce brigand Géorgien Alexandre, qui est toujours au guêt ici à l'entour contre tous ceux des nôtres, qui vont et reviennent.

Encor[e] grâce à Mirza Mamishe, employé au Tcheper-khané; auquel j'ai promis de le recommander à Votre bienveillance; j'ai trouvé secrettement 6 cheveaux pour la nuit, car le jour personne ne se serait avanturé de me les produire, c'est à peine ce qui me suffisait pour les malades, mais le cas était pressant, et hier vers les 10 heures du soir je sortis mon monde. Nous avons ce qui vigoureusement

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s'appelle fui à l'insçu1) du Khan et du Mehmendar, personne ne savait le chemin, que je prendrai, excepte un guide, que j'avais attrapé. Mais ce départ nocturne me devint funeste. La première fatalité m'advint près d'un pont, en ville encore. Wassilkof, chargé de crimes, ayant passé les baguettes en Russie, me suivait avec la foule de Tabriz. Il se disait souffrant d'un rumathisme au genou, je l'ai soigné par préférence, ne le faisant jamais démonter de dessus un gros ballot d'effets moëfleux, lui frottant régulièrement le genou avec du rum, et l'envellopant contre la fraicheur de nuit. Il se jetta maintenant à bas de son cheval, et me dit, que sa maladie l'empêchait d'aller plus loin, je lui proposai de lui arranger plus commodément sa monture, je lui donnai mon prorpe cheval, je voulai le faire porter par ses camarades, tout fut en vain, il me dit avec une froide résignation, qu'il ne me suivrait pas, que j'etais en droit de le tuer. Certainement je l'étais, mais un tel coup, quoique de justice répugne à l'homme sensible. J'appesai2) les autres, je leur ai masqué l'affaire comme j'ai pu, et il fut abandonné à son sort, aussi les Persans ne manqueront pas de l'achever. Nous traversâmes trois riverets, assez larges et profonds, cela mit du désordre à plusieurs reprises. Je m'arrêtai pour contrôler si personne ne manquait, 2 ne furent point trouvés. Représentez vous mon inquiétude, c'était à 5 verstes à peu près de la ville. Je fis halte; je fis dormir les uns, veiller les autres, et moi avec Joussouf (de Bagdad) nous gallopâmes en arrière, à la recherche, je haussai la voix, je les appellai par leur noms, Joussouff de même: — pas de réponse, hors l'Ali de quelques Tatares rodants. Une muette stupeur s'est emparée de moi. Dieu merci nous ne perdîmes pas le chemin, mais je revins désespéré. Ils se seront soulés, me dis-je, pendant la confusion au départ, et leurs raison, comme leurs forces

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les eurent trahis, j'envoyai encore après eux 3 hommes, armé et à cheval, cela a duré jusqu'à l'aube du jour. On me rammena l'un d'eux, ma supposition s'est vérifiée, il s'était muni d'un pôt de vin en ville. L'autre est perdu peut-être à jamais. Son nom est Larin, beau garçon, un air, qui inspire de la confiance, docile, seulement enclain à boire. Si vous apprenez, qu'on l'aura remmené à Tabriz, songez à le délivrer. Je suis fort peiné pour lui.

A-propos du nombre de ceux, que je conduis, je n'ai pu le vérifier, que parti d'Alvar, à moitié chemin. La veille on m'avait inséré dans la liste les noms de ceux, qui sont restés détenus au Méidan. Le nombre effectif s'est trouvé être 158, moins un, (dont j'ai eu l'honneur de Vous faire mention dans mon rapport № 1), deux de perdus depuis Nahetchivan, restent 155, Waguin excepté, que je ne mêle point avec les autres.

Aujourd'hui, à la pointe du jour, je me suis reconnu dans le même vallon, qui s'étend du défilé prés de l'Araxe, jus-ques Nahetchivan, seulement plus au Nord-Est. Nous nous enfonçâmes dans les montagnes, et après quelques heures de marche, je suppose une affaire de 4 farasanges et demi, nous nous vîmes tout près du fameux rocher des serpents, delà nous sommes montés dans le village appellé Kazantchi, c'est d'où je vous écris. Il me reste pour demain 8 pharasanges, à ce qu'on dit, d'un chemin montagneux et rabotteux, jusqu'à Pirnavout, qui est à nous. Et si nous y parvenons sains et saufs, je dirai, que les Persans n'ont pas même assez d'esprit pour nuire, autant qu'ils le voudraient.

Figurez Vous, que je n'ai encore trouvé personne pour envoyer chez notre commendant aux frontières. Hier s'est presente à moi un homme de Garousse, où est stationné le premier poste Russe. Il y retournait avec une caravanne, je voulais le charger de ma lettre, et pour ce petite office il me demanda 50 veaux! A cette demande exhorbitante, et n'ayant aucune garantie pour sa fidélité, j'ai mieux jugé le

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renvoyer, après avoir noté son nom dans mon journal. Quele vile engeance, que ces Arméniens! Aucun d'eux n'a voulu me savoir, et toujours nous soufflant à l'oreille, que nous sommes leurs protecteurs in spe. Beaux protégés! Ils nous vendent à ces mômes Persans, qui sont prêts à les crucifier, à les bouillir à toute sauce dernièrement encore ils en ont brûlé 2 à Nahetchivan.

Je vous aurais écrit encor[e] plus longuement, Monsieur, sachant l'intérêt, que Vous prenez à ma position actuelle, mais mal accoudé, sur le plancher, le tas d'insectes venimeux, qui me font sauter en l'air toutes les fois, qu'ils rampent jusques sur ma lettre, le vent, qui à chaque instant m'éteint la bougie, enfin la lassitude, et une nuit blanche, que déjà je viens de passer pour Vous faire mon rapport, tout cela ne me permet pas de lier 2 idées de suite, et Vous me pardonnerez mon griffonage. Quoique je Vous aie dit au commencement de la présente mon opinion sur le Férman du Chah-zadé, qui porte à me laisser sans secours à Nahetchivan, sur la mauvaise volonté de Kelbel Khan, et sur la duplicité de Mahmad Beg, Vous en ordonnerez, Monsieur, ce que Vous voudrez, je n'ose pas anticiper sur le jugement, que Vous porterez là dessus, et quand même Vous trouveriez nécessaire de ne point produire cette affaire au jour, ce n'est pas moi, qui en serai marri, car après tout, je me vois presque au bout de mes peines. Me voilà déjà très content d'avoir fait trotter le Mehmendar jusques Karababa, ne m'y ayant pas trouvé, il revint en hâte ici, très étonné de me voir prendre un autre chemin, que celui, qu'il m'avait indiqué. Je lui ai observé, que s'il eut eu tant soit peu de soins pour moi, il m'aurait mené ici droit du passage de l'Araxe, me faisant gagner par là 3 jours, et combien de fâcheries cela ne m'aurait-il pas sauvé! Il me quitte et je ne me sentirai pas abandonné à son départ. Sa conscience, qui lui dit rarement quelquechose, lui fait redouter, s'il me suit à Pérnavout, que par représsailles je ne le fasse maltraiter. Le misérable ne conçoit pas, qu'une fois sur notre territoire,

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aucun ressentiment ne m'obligerait à violer les devoirs de l'hospitalité, cette vertu si chère à tout homme de mon pays

Agréez les sentiments de plus parfait dévouement

Monsieur

de Votre très obéissant Alexandre Gribojedoff.

    № 4.

    11 Septembre. 1819.

    Kazantchi.

P. S.

    Pernaout. 13 Septembre.

J'ai spéculé, Monsieur, sur les préssantes instances du Mehmendar, qui absolument voulait un papier de moi, comme un titre pour parîatre devant Vous. C'est pour ne pas Vous laisser en doute sur mon arrivée à la frontière, que je n'ai pas fermé la présente à Kazantché, et me suis fait suivre par un homme de Mahmad Beg. Tout cela est mal sûr, car le vilain m'a déjà fait payer 2 ducats à Nahetchivan pour un courrier à Tabriz, et s'étant, je crois, approprié le sonnant, je tiens de lui même, que le paquet en question est encor[e] entre ses mains. Il m'a fait trente histoires pour se justifier, qu'il Vous les conte! Cependant veuillez être instruit, que je Vous ai envoyé mon premier rapport de Marand № 1, le second de Nahetchivan, № 3 et ce troisième d'ici Pernaout, village Arménien, relevant de Mehti-Kouli-Khan, sous la domination Russe. C'est hier 12 du mois, que par un défilé le long de la rivière Alindja, nous parvînmes à une montagne, dont un côté est à l'Iran, et l'autre à nous. Elle paraissait s'élever à l'infini, nous fûmes deux heures à la gravir, et ce n'est qu'au sommet, que nous grimpâmes ad status, quod ad passatum. De là jusqu'ici il n'y a qu'un saut. Bénit soit Dieu! mon expédition est à moitié remplie. Puissiez Vous en dire autant, Monsieur, de Votre gestion, dont l'issue future est trop ténébreuse, pour qu'à

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l'avenir je sois tranquille sur Votre compte. Vous avez maintenant beaucoup de Sujets Russes, porteurs quand Vous voulez, de Vos lettres pour Tiflis. Daignez m'ecrire je Vous en prie.

Pour l'amour de l'impartialité, ne feriez Vous pas valoir près du Naïb-Sultan les services à moi rendus par le Sultan de Sarbazes à Gargare et par Mirza Mamishe à Nahetchevan?

La lettre ci-incluse est adressé à Chémir.

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<См. примечания>

<См. источник публикации>

Сноски

Сноски к стр. 52

1) Правильно: insu.

2) Правильно: j'apaisai.