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14.

Е. Г. Пушкина В. А. Жуковскому.

Dresde. Le 30 juin 1828.

Enfin, mon cher ami, je pars dans deux jours, pour revenir dans mes foyers. Le coeur me bat de joie! L’idée de revoir mon fils aprés une absence de quatre ans, est une idée bien consolante. Mais hélas, je le reverrai veuf et afligé. Puisse ma tendresse maternelle adoucir l’amertume de ses regrets! J’y emploierai tous mes efforts. J’ai quitté Moscou portant le deuil d’une bienfaitrice, d’une seconde mère, j’y reviens en deuil pour une belle-fille, que je n’ai point connu, mais dont les lettres étaient pleines de candeur et me promettaient un avenir selou mes voeux. Qui sait ce qui m’attend encore et si la santé de mon angélique Pauline se soutiendra dans un climat aussi rigoureux que le nôtre! Cette incertitude accablante pour mon coeur empoisonne d’avance le plaisir que j’aurai à me retrouver dans mon pays. Priez pour moi, mon digne ami. La prière d’un être bon comme vous tient lieu de bénedictions.

Cette lettre vous parviendra par m-r Freihard, qui se rend à Pétérsbourg pour y placer son fils; protegez le jeune homme, mon cher Joukovsky, aidez le de vos conseils, de vos avis, et tachez de lui applanir les difficultés inséparables d’une carrière qui commence. Je sais que c’est vous rendre service, que de vous procurer les moyens d’être utile, aussi n’ai-je pas balancé un moment à recommander le jeune homme à votre bienveillante amitié.

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Mademoiselle Batuchkof part avec moi; son frère nous suivra dans quinze jours On lui a dit je ne sais trop pourquoi, qu’il devait quitter Sonnenstein, et depuis ce moment là il ne quitte plus sa cellule, ne parle avec personne, reste dans une innaction parfaite et attend avec impatience le moment de se mettre en route. Que Dieu veille sur lui! M-r Barclay a rendu à m-lle Batuchkof les services d’un frère, il est entré dans les moindres détails de son voyage avec une bonté vraiment touchante, aussi les amis d’Alex. Nicol. ne sauraient trop apprecier sa conduite envers elle.

Adieu, mon cher, mon bon Joukovsky! Qui sait si nous ne nous reverrons pas encore une fois dans ce bas monde. Une fois à Moscou, je me trouverai plus rapprochée, et qui sait aussi si l’envie ne me prend pas d’aller vous voir à Pétérsbourg. Enfin esperons toujours. C’est une si douce chose, Adieu, tous les miens vous disent mille choses tendres. Olga continue à être parfaitement heureuse, et moi je m’attache tous les jours d’avantage à son mari. C’est une âme si noble, si tendre, si devouée. Un caractère si franc, si loyal et si facile à vivre. Enfin je ne puis plus douter, que Serge n’ait béni du haut des cieux cette union fortunée. Il y a longtemps que je n’ai eu des nouvelles d’Alexandre, sa dernière lettre était d’une tristesse et d’un découragement qui me pèse sur le coeur. Adieu encore une fois.

Адресъ: A monsieur Joukovsky, à Pétérsbourg.